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m’appellent la Mère des dieux, le peuple autochthone de l’Attique me nomme Minerve cyclopéenne. Je suis Vénus paphienne pour les habitans de Chypre, et Diane dyctéenne pour les Crétois. Dans les trois idiomes de Sicile j’ai nom Proserpine stygienne, je suis Cérès antique à Eleusis… Les peuples d’Ethiopie et d’Égypte seuls me rendent mon culte propre, et me donnent mon vrai nom de déesse Isis. » Le vrai nom n’était-il pas bien plutôt celui qu’Apulée enregistrait d’abord ? n’était-ce pas en réalité la Nature, mère de toutes choses, que les anciens adoraient sous ces différens noms ? Ce que les Romains avaient rencontré en Germanie, n’était-ce pas un culte s’adressant à la même universelle puissance ?

Or quelle divinité germanique d’un pareil sens Tacite aura-t-il cru pouvoir identifier avec Isis ? Au milieu de tant de difficiles problèmes, celui-ci peut-être a provoqué les solutions les plus singulières et les plus diverses. Grimm a le premier mis un terme aux divagations plus ou moins érudites, en montrant qu’il fallait joindre en effet ce que l’historien nous dit de la prétendue Isis, et ce qu’il nous apprend du culte de la Terre-Mère. Il est particulièrement précieux pour nous que Tacite nous ait transmis le nom barbare de cette dernière divinité, Nerthus[1]. Suivant P.-A. Munch, le laborieux et habile historien de la Norvège, nous pouvons reconnaître ici la divinité des Germains du nord, appelée Niördr dans la langue norrène : la forme gothique de ce nom, presque identique à celle que rapporte Tacite, serait Nairlhus, forme indifféremment masculine ou féminine. Niördr, dispensateur des richesses, passe, dans la mythologie Scandinave, pour avoir engendré Frey et Freya, et celle-ci devient la déesse de la fécondité, de l’abondance, de la joie, de la paix. D’autre part, l’on retrouve aussi dans l’Edda une déesse Terre, Jörd ou Jaurd, laquelle, comme épouse et femme d’Odin, et naturellement aussi comme source de toute vie, se confond avec Freya. P.-A. Munch a remarqué que la visite de la déesse sur un char voilé paraît avoir été une cérémonie spéciale au culte de Freya et de Nerthus. On en trouve des traces jusqu’aux derniers jours du paganisme en Séeland. Cette île danoise a longtemps conservé une ville de Leire, ancien sanctuaire national, et dont le nom reproduit le mot gothique hleilhra, qui traduit dans Ulphilas le grec skénè, tente ou char couvert. Séeland aurait été cette île de l’océan, désignée par Tacite, foyer du culte pour les nombreuses tribus des Goths. Ajoutons qu’un des poèmes de l’Edda de Saemund, le chant de Sôl, représente l’épouse d’Odin, Freya, embarquée « à la recherche ardente de la volupté sur le navire de Jörd, » preuve

  1. Il faut certainement lire, au quarantième chapitre de la Germanie, Nerthum et non pas Hertham, que donnent les anciennes éditions.