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leur ambition du Neckar sur le Mayn, des vertes montagnes de la Pegnitz aux marais du Havelr et des eaux noires de la Sprée aux eaux glacées de la Pregel. Le grand-électeur, en perfectionnant la constitution militaire de ses peuples, a préparé comme un retour offensif des Zollern sur le centre allemand, dont l’esprit d’aventure les a momentanément écartés. Les maisons de Savoie et de Brandebourg ont donné à l’Europe moderne le fatal exemple de fortunes royales obtenues par l’habile et constante disposition d’une force militaire toujours préparée pour profiter des événemens ; mais la maison de Savoie était la seule grande race indigène existant encore en Italie, où les maisons d’Autriche et de Bourbon étaient des étrangères. Telle n’est point la condition de la maison de Zollern, aussi les inquiétudes qu’elle inspire sont-elles bien différentes. Le grand-électeur a déployé les qualités réunies de capitaine habile et de fin politique. Parvenu, au gouvernement en pleine guerre de trente ans, il a délivré son pays de l’occupation suédoise, s’est ménagé l’attribution des duchés de Clèves et de La Marck, et il a négocié le traité de Westphalie qui lui a valu d’importantes allocations de territoire par lesquelles il a prolongé sur le Weser et sur le Rhin une ligne de possessions qui s’étendait jusques à la Vistule.

Proche parent de Guillaume d’Orange, il a marché au secours de la Hollande et de l’Allemagne contre Louis XIV, sans trop s’obstiner dans ses alliances à cet égard, car il partageait secrètement avec le roi de France la haine de la maison d’Autriche : aussi Louis XIV lui fit-il à Saint-Germain de meilleures conditions qu’il n’en fit à l’Allemagne à Nimègue. Pour opérer une diversion utile, Louis XIV avait suscité l’incursion des Suédois contre le Brandebourg ; le grand-électeur en tira l’occasion d’une gloire nouvelle par la brillante campagne que couronna la victoire de Fehrbellin. Les prétentions de Frédéric II sur la Silésie datent du grand-électeur, comme une foule d’autres desseins réalisés plus tard. Il mourut à soixante-sept ans (1688), peu scrupuleux observateur des traités, mais se gardant d’y porter la désinvolture de Frédéric II. « Louis XIV et le grand-électeur, dit ce dernier, firent des traités et les rompirent, l’un par ambition, l’autre par nécessité. Les princes puissans éludent l’esclavage de leur parole par une volonté libre et indépendante ; les princes qui ont peu de forces manquent à leurs engagemens parce qu’ils sont souvent obligés de céder aux conjonctures[1]. »

Il ne manquait au Brandebourg que le titre royal. Il fut obtenu de l’empereur d’Allemagne par l’héritier du grand-électeur en rémunération du contingent qu’il fournit à la grande coalition formée

  1. Mém. de Brandebourg, p. 164, édition de 1789.