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ce que les traditions du grand monde sous Louis XIV ajoutaient à la distinction des plus heureuses natures. Venait ensuite l’évêque de Blois, l’un des quarante de l’Académie française, celui qui, académicien à vingt-six ans, recevant un jour, comme directeur, l’évêque de Noyon, un Clermont-Tonnerre, persifla si habilement devant un auditoire complice l’illustre fatuité du récipiendaire que la raillerie échappa au prélat moqué, tant cette verve de belle humeur et cette malice caustique, tempérées par les grâces du style, étaient chez les Caumartin un don de naissance et le génie familier de la maison.

Le crédit, la considération, se trouvaient au plus haut point dans une parenté si honorable, sans parler de la qualité, qui égalait tout le reste, puisque la noblesse des Caumartin remontait au-delà de 1400 ; en un si bon lieu, une seule chose était médiocre, la fortune. Cette puissante famille, se développant avec l’ampleur des anciennes races, s’était appauvrie par sa fécondité même ; elle ne comptait pas moins de dix enfans, cinq garçons et cinq filles, à la fin du XVIIe siècle ; de là des difficultés d’établissement, et, pour les moins favorisés, bien des hasards dans la destinée. « J’ai trois filles de dix-huit à vingt ans, écrivait Mme de Caumartin en 1692 à son parent, M. de Choisy, qui habitait alors Balleroy ; dites bien à votre ami M. de La Cour qu’il y en aura pour tout le monde. » L’aînée de ces trois filles, dont la mère faisait si galamment les honneurs aux prétendans, Marguerite de Caumartin, née en 1672, épousa le lieutenant de police d’Argenson en 1693. « Quand mon père et ma mère se sont mariés, a écrit plus tard le marquis d’Argenson dans ses mémoires, on leur disait que c’était la faim qui épousait la soif ; ma mère apporta 30,000 écus à mon père, qui alors n’avait rien. » On avait agréé pour l’aînée un homme de province, fraîchement débarqué à Paris, sans fortune, mais de grand avenir ; les mêmes raisons firent accepter pour la cadette, Charlotte-Emilie, un autre provincial dont la fortune surpassait de beaucoup le mérite : c’était La Cour, seigneur de Balleroy, homme de petite noblesse et d’esprit médiocre ; « il avait du bien, dit Saint-Simon, et il prit pour rien une sœur de Caumartin. » Le mariage eut lieu le 8 mars de cette même année 1693 ; voilà comment Charlotte-Emilie à dix-neuf ans quitta Paris pour aller s’ensevelir près de Bayeux dans un marquisat. Encore ce marquisat, constitué seulement par lettres-patentes de 1704, fut-il acheté sans aucun doute à beaux deniers comptans. Elle y passa tristement sa vie, loin des plaisirs élégans et des succès flatteurs, réduite à faire venir de Paris les distractions d’une causerie écrite, tandis que sa sœur, femme et mère de ministres, avait tabouret chez le roi ; ce qui montre bien, selon la remarque du philosophe d’Argenson, que dans ces combinaisons de la prudence domestique