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protestant du XVIe siècle, il faut aussi savoir l’en distinguer. La révolution est issue de la philosophie française du XVIIIe siècle, laquelle est tout autre chose que la réforme protestante. Celle-ci a pu arriver à l’idée de la liberté et de l’égalité, mais elle n’en est pas partie. La rédemption par le Christ, tel est son principe fondamental : les droits de l’homme, tel est le principe de la philosophie du XVIIIe siècle et de la révolution. C’est bien en effet par le développement du principe protestant que l’on est arrivé à cette conséquence ; toutefois la conséquence est bien éloignée du principe, et elle a un tout autre caractère. Or ce principe des droits de l’homme, c’est le XVIIIe siècle qui l’a formulé, et c’est la révolution qui s’est fait fort de l’appliquer dans l’intérêt du genre humain. De là un caractère de généralité qui a frappé tous les observateurs, et a fait de cette grande période une crise pour l’humanité en général, toutes les autres révolutions protestantes étant plutôt des révolutions locales. Celle d’Amérique seule a déjà un caractère plus général et plus abstrait : cela tient aux mêmes causes que pour la révolution française ; elle a également, aussi bien que celle-ci, reçu l’empreinte de l’esprit du XVIIIe siècle, et il ne faut pas d’ailleurs les séparer l’une de l’autre, la France étant pour moitié dans le succès de la révolution américaine.

M. de Sybel ne serait pas de son temps, s’il ne considérait comme une conséquence fatale et logique de la révolution l’établissement du « césarisme, » c’est-à-dire du système qui reconnaît, dit-il, l’égalité des droits pour tous, et ouvre à tous la carrière du service de l’état, mais qui entraîne à sa suite « les prohibitions commerciales, la servitude de la presse et de l’enseignement et l’oppression de l’église. » Ce sont là des assertions vagues, et même, sur certains points, contraires aux faits, car il se trouve précisément que c’est le césarisme qui a essayé d’introduire en France la liberté commerciale. Quant à l’oppression de l’église, on ne sait trop à quels actes l’auteur veut faire allusion. Le point le plus faible de ce réquisitoire, c’est de prendre un accident pour une loi. Ce qui paraît bien le propre de la révolution, c’est d’avoir été jusqu’ici impropre à fonder un gouvernement, et on ne peut la justifier sur ce fait ; cependant le césarisme n’en est pas plus la conséquence nécessaire que la monarchie constitutionnelle ou la république. L’avenir résoudra cette question, et partir d’un fait accidentel pour le transformer en loi absolue est un procédé peu scientifique. Enfin M. de Sybel, ainsi que tous les écrivains du même temps, reproche à la France d’avoir ignoré le principe du self-government, d’avoir exagéré la centralisation, comme si la Prusse était un modèle de self-government, et comme si elle avait peu de goût pour la centralisation !