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énormes bondissant dans le vide, broyant et renversant tout sur leur passage, venir avec fracas tomber jusqu’au pied de nos réserves.

Pendant que le capitaine Massé par sa diversion hardie attirait l’attention des insurgés, le mouvement tournant s’exécutait avec des difficultés inouïes et un courage vraiment surhumain. Le pic avait à peu près 600 mètres d’élévation. Il en fallait gravir 150 à force de bras, n’ayant pour appuyer ses pieds que la roche nue ou quelques touffes d’herbe. Dès cinq heures du matin, les volontaires s’étaient mis en route. Laissant sacs et habits au pied de la montagne, ils n’avaient conservé que leur fusil et des cartouches. C’est ainsi qu’ils parvinrent à escalader le premier degré du piton. Vers trois heures de l’après-midi, ils avaient atteint le sommet, objet de leurs efforts. De ce point culminant, ils apercevaient au-dessous d’eux les insurgés, tout occupés de riposter au feu du capitaine Massé ; mais entre les deux pitons il y avait un abîme qu’il fallait franchir sur une crête rocheuse, pont étroit que la lave en fusion jeta jadis en se refroidissant d’une muraille à l’autre. À cheval sur cette arête aiguë, pareils à des couvreurs sur le faîte d’un toit, les volontaires s’avancent à la file, le fusil en bandoulière, un précipice à leur droite, un précipice à leur gauche et l’ennemi devant eux. Leur vie ne tient qu’à un fil. S’ils sont découverts pendant qu’ils accomplissent ce périlleux passage, quelle résistance pourront-ils opposer ? Les plus intrépides ont senti leur cœur battre violemment. Muets, la sueur au front, ils poursuivent leur route. À quoi bon songer au danger quand la retraite est devenue impossible ? Dieu soit loué ! ils ont enfin touché le bord. Un monticule boisé les sépare seul de la fameuse redoute ; ils s’y rallient, franchissent ce dernier obstacle d’un élan et arrivent sur les parapets avant que les insurgés aient pu soupçonner leur présence. Le pavillon taïtien est renversé, l’ennemi couché en joue et sommé de mettre bas les armes. Comme un faucon quand il ferme ses ailes, Tariri le premier est tombé des airs dans la redoute. Les rebelles éperdus ne songent pas un instant à se défendre. Les uns se jettent aux pieds du chef qui leur offre la vie sauve ; les autres ont déjà cherché leur salut dans la fuite. Ils vont porter au loin la terreur qui s’est emparée de leur âme. On les poursuit, et nos avant-postes se portent le jour même à deux lieues en avant de Fatahua, sur le sommet aux trois fleurons aigus qui a reçu le nom de Diadème, et d’où l’on découvre au loin la vallée de Punarou. Les insurgés, ainsi menacés sur leurs derrières, se trouvaient bloqués de l’autre côté par les troupes réunies à Punavia. Ils se résignèrent à faire leur soumission. Quand ils eurent livré leurs munitions et leurs armes, une assemblée solennelle fut convoquée le 22 décembre, à l’entrée