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soutenu, soulagé, soigné plus ou moins. Quelle différence enfin entre cet état, tout mesquin qu’il puisse être, et la condition du pâtre romain, demi-vagabond qui couche dans les cavernes comme un troglodyte, sans se déshabiller, ou qui s’installe dans les murs dégarnis de fenêtres de quelque villa détruite, de quelque ferme abandonnée ! Regardez d’un côté nos bergers normands, si bien choyés à la ferme du maître, si grassement payés au bout de chaque terme, si tranquille, dans leur vie régulière, aidés de chiens qui font avec intelligence toute leur besogne, abrités par la hutte roulante qui, bien close, leur sert de maison d’été, ou par la bergerie proprette où chaudement ils sommeillent l’hiver ; puis songez à ces misérables pecorari romains, vêtus de guenilles ou de peaux de bêtes, nourris l’hiver exclusivement de pain et de fromage, l’été d’une soupe nauséabonde dont l’huile rance, le sel et l’eau font tous les frais, soldés souvent de 15 à 20 paoli par mois (de 7 fr. 50 à 10 fr. ), et couchés, quand ils sont de garde, au milieu de la plaine nue, sous une hutte de roseaux haute d’un pied et demi, longue de quatre ! Leurs chiens farouches ne les gardent que du loup. Les bergers eux-mêmes doivent courir autour du troupeau pour discipliner les brebis indociles. Leur houlette est une longue trique, et le couteau leur ultima ratio. Ce n’est pourtant pas la bonne volonté qui leur manque pour se civiliser. Nous avons eu l’occasion de constater que les bergers de moutons (pecorari) apprennent à lire pendant leurs longs loisirs ; les vieux servent de maîtres aux jeunes. Mais, hélas ! ils n’ont pas d’autres livres que l’almanach de Barbanera ou les légendes de saints les plus étranges. Ajoutons que cet état de sauvagerie n’est pas précisément volontaire. La pénurie n’est pas le résultat de l’abandon ou de l’inertie. Il y a déploiement d’intelligence et même ingénieuse organisation dans cette existence pastorale. En traversant l’agro romano, on remarque des cônes qui, disséminés comme des points dans le pacage nu, ressemblent à des meules de foin ou à des huttes de sauvages. Ce sont ou des monceaux de fourrage ou des habitations, selon la nature du troupeau. Auprès du gros bétail, si exposé aux disettes, quelques meules servent de ressources pour les temps de pénurie absolue où la terre ne peut plus nourrir ceux qu’elle porte. Auprès des bêtes à laine, ce sont des asiles pour la nuit où le chef en second du troupeau, sa femme quelquefois et ses bergers se retirent le soir, font leurs fromages et mangent aux jours mauvais. Une vingtaine de hautes perches fichées en terre et réunies par le sommet en forment la charpente ; des tiges de mais ou des bruyères en fournissent la couverture. Voilà pour l’extérieur : un cône parfait surmonté d’une croix ; l’intérieur ne manque pas non plus d’un certain pittoresque.

Tout le pourtour de cette enceinte ronde est subdivisé à hauteur