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des grandes puissances qui font partie de la confédération désirera réaliser cette unité à son profit. L’Autriche n’est pas à craindre ; étant composée de pièces et de morceaux, et n’ayant pas d’unité chez elle, elle ne peut pas songer à l’exporter au dehors. C’est donc la Prusse qui doit être surveillée ; elle tentera l’aventure, et, si elle réussit, alors toutes les conditions de l’équilibre seront changées : il faudra chercher pour l’Europe de nouvelles bases et une nouvelle organisation. »

M. de Talleyrand, politique consommé, parlait en homme qui avait vu de près les grandes affaires de l’Europe aux années 1813, 1814 et 1815. Le point de vue des périls qu’avait courus la liberté germanique, et signalés comme excitant à l’unité germanique, est certes fort juste ; mais, si l’Allemand n’avait point été doué de ce caractère historique dont nous avons parlé, s’il avait été moins absorbé par le culte de son histoire nationale, si les souvenirs du germanisme y avaient été moins populaires, l’inquiétude et l’agitation politique auraient à coup sûr pris en Allemagne une autre direction. En un pays encore plein du souvenir des Otton, où les chroniques du moyen âge sont expliquées ou lues comme classiques dans les écoles, où les noms de Conrad le Salique, des trois Henri de Bavière[1] et des Frédéric de Staufen, sont aussi familiers au peuple que les plus grands noms contemporains, il y avait chance pour un retour au saint-empire romain en dépit de la sagesse des hommes d’état réunis à Paris au mois de mai 1834. M. de Montalembert, voyageant en Allemagne il y a quinze ans, y avait recueilli cette même impression, et il en a consigné l’avertissement éloquent, solennel et positif, dans une Nation en deuil, écrit remarquable qu’il publiait en 1861, et auquel le but trop polonais qui préoccupait l’auteur ôta peut-être la portée sérieuse qu’il aurait dû garder à l’égard du mouvement unitaire, dénoncé comme imminent en Allemagne. Qui l’eût dit cependant au XIIIe siècle que ces Prussiens, Slaves d’origine et encore alors idolâtres, auxquels en 1237 Henri l’Illustre, margrave de Misnie, l’un des aïeux de la maison de Saxe d’aujourd’hui, faisait la guerre sainte au nom et par commission de la diète de l’empire, parviendraient quelques siècles plus tard à la domination de l’Allemagne, et que leur souverain, soutenu par leur habile audace, mettrait la couronne impériale sur sa tête ?

La révolution de l’Allemagne a donc un caractère national qui la sépare de tous les autres mouvemens de ce genre. L’Allemagne est révolutionnaire par un retour politique sur son passé, non par un élan social vers l’avenir. Chez nous, hélas ! il n’y a plus d’aïeux

  1. Voyez Boettiger, de Henrico Leone, reipublicæ christ, per Germon. septent. statore et propagatore, ab injuriis vindicato. Lips 1817, in-4o