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leurs yeux de leur révolution nationale, il faut nommer Burke, l’un des chefs du parti whig aussi bien que Fox, lié jusque-là avec celui-ci de la plus étroite amitié, mais qui rompit avec lui dans une séance mémorable du parlement sans autre cause que cette division même d’opinion provoquée entre eux par les événemens de France.

Fox n’a rien écrit sur la révolution française ; il n’a émis son opinion que dans des discours. Burke ne s’est pas contenté de porter contre elle à la tribune les accusations les plus provoquantes ; il publia un manifeste amer et diffus, quoique plein de vues pénétrantes et prophétiques, sous ce titre : Réflexions sur la révolution de France, et sous forme de lettre à un ami[1]. Dans cet ouvrage, on voit Edmond Burke préoccupé au plus haut point de la crainte que les principes nouveaux ne vinssent à passer en Angleterre à la faveur d’une confusion assez naturelle entre les deux révolutions qui ont eu lieu dans les deux pays. Il ne manquait pas alors, même en Angleterre, d’esprits ardens pour faire remarquer que la constitution anglaise reposait ou semblait reposer sur le principe que l’on essayait d’introduire en France, à savoir le principe de la souveraineté populaire, ce qui pouvait donner lieu de redouter que l’on n’en tirât les mêmes conséquences.

À cette méthode philosophique et radicale, qui caractérise la révolution de France et qui a toujours été le propre des écoles révolutionnaires, Burke oppose la méthode historique, qui a signalé celle d’Angleterre. Il est loin de défendre, comme les jacobites, le principe du droit divin ; mais il soutient que le changement de dynastie qui a eu lieu en Angleterre au XVIIe siècle n’a été qu’une « dérogation exceptionnelle » à la loi de la succession héréditaire, et une dérogation que l’on a essayé de rendre aussi étroite que possible. Il est aisé, selon lui, de concilier « le principe sacré de l’hérédité de la couronne avec le pouvoir d’en changer l’application. » On ne doit le faire « qu’à l’égard de la partie peccante, » et il ne faut pas « décomposer le corps politique tout entier, sous prétexte de créer un ordre absolument nouveau. » Avec le sens pratique qui caractérise en politique l’esprit anglais, Burke établit que dans une société, à côté du principe de « conservation, » il doit y avoir un principe de « redressement, » — autrement une société dont le chef serait absurde ou criminel serait condamnée à périr ; mais ce

  1. Cet ouvrage produisit un grand effet en Europe. Thomas Payne l’Américain en fit une réfutation dans son livre des Droits de l’homme. Priestley l’a combattu également dans ses Réflexions sur la révolution, 1791, traduction française. Voir sur Burke la remarquable étude de M. de Rémusat dans la Revue des 1er janvier et 1er février 1853.