Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Anglais sont loin d’avoir montré ce même esprit de sage réformation sans violence qu’ils ont fait voir cinquante ans plus tard. Oui, sans doute, en 1688 les Anglais ont fait une révolution prudente et habile, mais c’était quarante-huit ans après la première. Ne semble-t-il pas que ce soit une révolution assez radicale que celle qui a décapité Charles Ier, établi la république en Angleterre et fait de Cromwell un protecteur ? En supposant que la France, comme le voulait Burke, eût dû imiter les Anglais, elle avait devant elle cinquante ans pour cela. Jusqu’en 1830, l’Angleterre n’avait pas le droit de nous rien reprocher, car nous n’avions fait que ce qu’elle avait fait elle-même. C’est elle qui nous avait donné l’exemple du régicide, celui de la république, celui du gouvernement militaire, celui d’une contre-révolution, celui enfin d’une révolution nouvelle dans une branche cadette. Que l’on reproche aujourd’hui à la France de n’avoir pas su encore s’arrêter dans une combinaison raisonnable et de courir éternellement dans l’inconnu, on le comprend ; mais Burke n’avait pas ce droit : c’était lui qui était l’impatient en demandant à la France de s’arrêter du premier coup à cet état que l’Angleterre avait mis un demi-siècle à atteindre.

D’ailleurs Burke, prévenu par le modèle qu’il avait sous les yeux, ne croyait-il pas trop facilement à la possibilité d’imiter en France un pareil exemple ? Montesquieu semble avoir mieux vu quand il a dit : « Abolissez dans une monarchie les prérogatives des seigneurs, du clergé, de la noblesse et des villes, vous aurez bientôt un état populaire, ou bien un état despotique. » Qu’avait donc fait l’ancienne monarchie, et cela depuis deux ou trois siècles ? Elle avait détruit toutes les libertés héréditaires : communes, parlemens, aristocratie, états-généraux, clergé, tout avait été effacé, détruit, nivelé au profit du prince. Comment reconstruire ce vieil édifice de la constitution française ? Où retrouver les vieilles chartes et les titres de cette liberté traditionnelle qui eût dû être notre héritage ? Burke a bien raison de dire « qu’aucun pouvoir, aucune institution ne peut rendre les hommes différens de ce que Dieu, la nature, l’éducation et les habitudes les ont faits. » Or en France précisément la tradition était niveleuse, c’est la royauté qui la première avait commencé à niveler ; la démocratie était donc en France une conséquence historique aussi bien que l’aristocratie en Angleterre.

On ne peut méconnaître le danger d’une révolution qui part de principes trop généraux et trop abstraits, car, ces principes n’ayant pas de détermination précise, chacun les détermine à sa guise, et, lorsqu’il les croit violés, en appelle aussitôt au droit de la force. Aussi est-il permis de dire avec Burke que la révolution a préparé