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on vendus par les satrapes et les princes, qui faisaient commerce de leurs sujets comme aujourd’hui les roitelets d’Afrique. Que devait être l’existence de ces hommes, loués comme des bêtes ; de somme par leurs maîtres s à des entrepreneurs peu scrupuleux et ensevelis vivans dans le sein de la terre ! Leur travail était très pénible ; six d’entre eux pouvaient à peine produire autant qu’un seul de nos ouvriers aidé de la poudre et de la vapeur. Armés d’un pic en fer à tête plate et d’une pointerolle, barre cylindrique terminée par une pointe conique, les mineurs arrachaient pour ainsi dire la roche miette à miette, et l’on est effrayé quand on songe à l’énorme dépense de force que représentent les milliers de puits et de galeries et les vastes excavations du Laurium, creusés dans le marbre ; et le micaschiste durs. Les plus anciens travaux communiquaient avec la surface par des galeries inclinées ; mais, à mesure qu’ils s’étendirent, il fallut rejoindre les couches par des puits profonds parfois de 100 mètres. Ceux-ci étaient toujours rectangulaires et avaient en moyenne 1m,30 de largeur sur 1m,80 de longueur. Les parois en sont encore parfaitement lisses ; de distance en distance, elles portent des entailles qui servaient à assujettir les échelles.

Les vides pratiqués dans les couches sont immenses. Nous avons pénétré dans l’une de ces mines où aucun être humain n’était entré depuis près de 2,000 ans. Elle avait été probablement abandonnée à la suite de quelque révolte d’ouvriers, car les fronts de taille étaient intacts, et les traces de coups de pic sur la roche parfaitement nets ; le sentier, usé par les longues files de porteurs, était indiqué de distance en distance par de petits tas de pierres méthodiquement rangées et cimentées entre elles par le dépôt calcaire des eaux qui suintent du toit goutte à goutte. Dans un coin, un pic en fer sans manche, sur les parois, dans une niche noircie par la fumée, une lampe en terre cuite ; enfin dans un lieu un peu plus aéré, près du puits, de grossiers dessins gravés sur le sol avec une pointe dure et recouverts comme d’un vernis par l’enduit calcaire provenant du dépôt des eaux indiquaient l’endroit où se reposaient les travailleurs. Nous ne pouvions nous défendre d’une vive émotion en présence de ces traces pour ainsi dire vivantes ; il nous semblait à chaque instant que nous allions trouver au détour d’une galerie quelque mineur s’efforçant d’entamer la roche compacte au moyen de sa faible pointerolle, ou voir surgir dès profondeurs de l’ombre un esclave antique marchant péniblement, les épaules courbées sous le poids d’un sac de minerai.

Après avoir subi dans la mine un premier triage, le minerai était transporté soit à dos d’homme par les galeries inclinées, soit peut-être par les puits à l’aide de treuils, aux ateliers de préparation,