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verra qu’ils n’en ont pas oublié le chemin. Toutefois la situation a bien changé. Le voyageur qui veut aujourd’hui visiter le Laurium peut prendre au Pirée un bateau à vapeur qui l’amènera en quelques heures à Ergastiria ; il verra le pays sillonné de routes, il entendra retentir dans la montagne les sifflemens aigus de la locomotive, et, si Kératea se montre à lui aussi pauvre qu’en 1806, il trouvera en revanche, non loin de l’ancienne Thorico, une ville industrielle animée de tout le mouvement et de toute l’activité modernes, spectacle rare dans ces contrées d’Orient, où règnent en maîtres la paresse et le far niente. Huit ans ont suffi pour opérer cette métamorphose ; elle est due tout entière à l’énergie patiente des étrangers qui sont venus apporter à ce pays oublié leurs capitaux, leur expérience et leur habileté pratique.

Un soir de mai 1863, un Français et un Italien, propriétaires d’importantes mines métalliques en Espagne et en Sardaigne, représentans d’une grande maison de commerce de Marseille, débarquèrent d’un caïque sur la plage déserte d’Ergastiria, en face de l’île d’Hélène. Le lendemain et les jours suivans, conduits par un Grec qui leur servait d’interprète, ils parcoururent tout le pays, examinant avec soin les traces des anciennes fonderies, et se rendirent à Kératea ; ils demandèrent à parler au parèdre, lui proposèrent d’acheter tous les terrains sur lesquels gisaient les scories et les rejets de mines qu’ils avaient l’intention de fondre. La propriété n’est limitée ni cadastrée en Grèce, elle est le plus souvent indivise ; le sol du Laurium appartenait en grande partie à un certain nombre d’habitans du village, formant une sorte de société désignée sous le nom de Chinôtis. Le parèdre et les chefs de la Chinôtis s’assemblèrent ; après de longs pourparlers, on finit par tomber d’accord. Le contrat fut signé le dimanche devant l’église, à la sortie de la messe, en présence du pope et de tous les Kératiotes réunis. Les hommes avaient endossé pour la circonstance le pittoresque costume des palikares, fustanelle blanche, large ceinture renfermant le tabac et les armes, guêtres et veste brodées d’argent ou d’or ; les femmes se tenaient derrière, vêtues de la longue chemise de coton, soutachée de bleu, qui tient lieu de robe, la tête et la poitrine couvertes de ces larges pièces d’argent à l’effigie des petits souverains allemands du siècle passé, qui constituent à peu près la seule monnaie métallique du pays, en dehors des leptas en bronze. La journée fut consacrée aux réjouissances ; on tira force coups de fusil, on dansa pendant des heures entières, et l’on mangea sans fourchettes le mouton à la palikare, arrosé de vin résiné.

De nouveaux traités furent passés plus tard, soit avec la Chinôtis de Kératea, soit avec le couvent de Pentèle, pour l’achat d’autres