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ne se prêtèrent pas toujours aux pieux scrupules des scribes[1]. Dans certains passages parallèles, la rédaction la plus ancienne fait accorder le verbe avec Elohim, tandis que la plus moderne le met au singulier. On fit plus encore. Dans certains morceaux dont on a une double récension, on voit qu’on a substitué partout le mot Jahveh au mot Elohim[2]. Dans les livres des prophètes, c’est le nom de Jahveh qui est sans comparaison l’expression générale pour désigner la divinité. Le mot Elohim est très rare en ce sens, et on ne l’emploie guère que dans certaines formules ou manières de parler consacrées par l’usage. Au contraire plus nous remontons dans le temps vers les plus anciens monumens de la littérature hébraïque, plus nous trouvons l’emploi fréquent du mot Elohim. Le Lévitique et les Nombres (excepté 12-24) sont déjà tout jahvistes, tandis que, dans l’Exode, les documens élohistes et jahvistes sont à peu près d’égale étendue, et que les premiers dominent dans la Genèse. Pour nous, Elohim est bien le pluriel d’Eloah. Elohim implique plusieurs Eloah. Elohim est la preuve indéniable, évidente pour tous, du polythéisme primitif des Beni-Israël.

L’histoire de la religion des Hébreux atteste que, chez ce peuple aussi, l’idée religieuse est née du sentiment de la terreur. « La crainte des Elohim, » voilà le fondement de toute la religion d’Israël. Les passages que l’on pourrait citer ici sont innombrables. Jacob jure par la « terreur » d’Isaac son père. Jahveh, comme Indra et comme Zeus, se manifeste dans les forces de la nature et dans les phénomènes atmosphériques. Le vent est son souffle, sa voix est la foudre qui fait trembler le désert et qui brise en éclats les cèdres du Liban. Il fait tomber la neige et la grêle, il répand le givre, produit la glace et le froid. C’est lui qui soulève la mer quand ses flots se déchaînent. Mais c’est surtout par le feu que Jahveh se révèle à ses adorateurs. La tempête, les éclairs et les tonnerres annoncent sa venue sur l’Horeb et sur le Sinaï, où il apparaît dans la flamme au milieu d’un buisson ardent que le feu ne consume point. On le voit descendre, les ténèbres sous les pieds, porté par le vol d’un keroub. Une fumée s’élève de ses narines, et un feu dévorant sort de sa bouche. Des cieux, Jahveh tonne, et Elion (le Très Haut des Phéniciens, des Carthaginois, etc. ) fait retentir sa voix. Il lance des flèches et disperse ses ennemis, il fait briller l’éclair et les dévore. Dans le désert, Jahveh marchait devant les Beni-Israël, le jour dans une colonne de nuées, la nuit dans une colonne de feu. Il

  1. Gen., XX, 13 ; XXXV, 7 ; Exod., XXXIII, 4, 8 ; Dout., v, 23 ; Jos., XXIV, 19 ; cf. I Sam., XVII, 28, 30 ; II Sam., VII, 23 ; I Reg., XIX, 2 ; Ps. LVIII, 12 ; Jérém., X, 10 ; XXIII, 36.
  2. Psaumes XIV et LIII.