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faire acte en réalité d’inventeur et de maître. Les dessins exposés à l’École des Beaux-Arts ne laissent à cet égard aucune équivoque, pas plus qu’ils n’autorisent le doute sur les leçons générales qu’on en peut tirer.

Chercher dans la reproduction d’un monument d’architecture l’occasion de nous donner non un simulacre inutile des accidens de la réalité, mais l’image des formes qui en accusent la beauté originelle, en révèlent le secret principe et, pour ainsi dire, en démontrent l’âme, — attribuer à la couleur, au lieu d’un rôle à part ou en contradiction avec la nature des surfaces qu’elle décore, l’office d’un auxiliaire, d’un procédé complémentaire de définition, — ne se munir d’érudition archéologique que pour en approprier les ressources aux besoins et aux progrès de l’art présent, — voilà les devoirs que Duban prescrit ou rappelle à chacun par les exemples de son talent, voilà les conseils qu’il adresse aux artistes qui lui survivent.

Dira-t-on que l’enseignement, si bon qu’il soit, court le risque aujourd’hui de demeurer sans profit immédiat, au moins pour le public, et que dans les temps troublés où nous vivons de pareilles vérités ne sont pas de celles qu’on a le plus à cœur d’étudier et de reconnaître ? Soit, mais ces vérités en subsistent-elles moins pour cela, et, quelques douloureuses préoccupations que nous imposent les souvenirs d’hier ou les exigences de l’heure présente, s’ensuit-il que nous ne devions songer qu’à ce qui peut entretenir nos tristesses ou nous promettre tant bien que mal le repos matériel ? Non, sachons ne nous détacher d’aucune étude, ne nous décourager d’aucun effort. Pour nous relever de nos désastres, ne négligeons pas plus la cause de notre art national que le soin des autres intérêts communs, des autres nécessités publiques. Il y va, là aussi, des plus stricts devoirs de notre patriotisme, et nous ajouterons des plus légitimes fiertés de notre mémoire. Est-ce à nous d’oublier que, même depuis nos malheurs, l’école française n’a pas cessé d’occuper le premier rang, qu’à l’heure où nous sommes c’est elle encore qui donne l’exemple de l’activité féconde et du talent dans tous les genres, qu’enfin les sources des hautes inspirations ne sont pas épuisées ni les généreuses croyances abolies dans le pays qui recueille aujourd’hui l’héritage de Duban et pour lequel Henri Regnault mourait il y a quelques mois ? Ce sont là des titres qu’on peut certes revendiquer sans jactance et qui, en se produisant à l’exposition de l’École des Beaux-Arts comme, de l’autre côté du détroit, dans les salles de l’exposition universelle, sont au moins de nature à dédommager notre orgueil et à ranimer nos espérances.


HENRI DELABORDE.