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ondulait comme une houle au milieu du bruit assourdissant des conversations, des querelles entremêlées de cris et de cyniques boutades. Quelques femmes se trouvaient confondues dans cette tourbe humaine, et leurs voix aiguës se mêlaient au tapage. Une vapeur nauséabonde flottait au-dessus de cette masse d’êtres entassés, agitée par une sorte de mouvement perpétuel, de trépidation sur place, par quelque chose comme un flux et un reflux ; cela ressemblait à une tempête dans un égout.

Je m’aperçus que Fritz avait plus d’une connaissance dans ce vilain monde, car je le vis échanger des sourires, des poignées de main et des signes d’intelligence.

La séance fut ouverte par trois formidables coups de bâton assénés par le président sur l’estrade de planches élevée à l’extrémité de la salle ; l’estrade faillit en être renversée, et les gens qui composaient le bureau en changèrent de couleur.

La parole fut donnée à un citoyen prodigieusement barbu, qui fit irruption à la tribune : ses yeux brillaient sous ses noirs sourcils comme une lanterne dans un buisson. — Citoyens, s’écria-t-il d’une voix creuse, depuis la défaite des bons patriotes au 31 octobre, l’infâme réaction relève la tête. — Il s’étendit longuement sur les misères du peuple, persécuté par ceux qui se disaient ses amis ; il se plaignit de ce que cette fois encore la révolution faite par le peuple n’avait profité qu’à des traîtres. Il dénonça ces vils transfuges qui, parvenus au pouvoir, ne se faisaient pas faute de mitrailler les frères et amis, et appela sur eux les foudres de la justice populaire. Pendant ce discours, interrompu souvent par des applaudissemens, des hurrahs et des trépignemens frénétiques, il trouva le temps de vouer à l’exécration immortelle de l’avenir les gouvernemens passés et présens de la France. Il termina en protestant contre la guerre. — Envoyons, dit-il, aux avant-postes les prêtres et les bourgeois, et réservons-nous pour la république. — Tel fut son dernier mot, accueilli par le délire enthousiaste de l’assemblée et par les cris répétés de vive la république ! vive la commune ! Quelques sifflets et quelques cris isolés de vive la France furent étouffés sous les huées et le tumulte.

Cependant un jeune homme de grande taille et de mine énergique se présenta sur l’estrade. — on parle du peuple, s’écria-t-il d’une voix retentissante, des droits, de la volonté, de la justice du peuple ! Qu’est-ce que c’est que ça, le peuple ? Où le prenez-vous ? De quoi se compose-t-il ? Qui vous a permis de parler en son nom ? Est-ce vous qui êtes le peuple ? Et de quel droit prétendez-vous faire la loi à la France ? Qui êtes-vous pour réclamer la suprématie ? Êtes-vous le nombre ? — Non, car les paysans, que vous méprisez, sont plus nombreux que vous. — Êtes-vous l’intelligence ? — Rien ne le