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Lara, sujet tout dramatique, la coloration instrumentale s’accentue davantage, le style s’élève au récitatif, à la mélopée, mais sans aridité ni vaine pompe. Aimé Maillard était de ces musiciens qui ne se contentent pas de savoir la musique, il savait aussi le théâtre, et quand une situation s’offrait à lui, il l’abordait honnêtement, au lieu de la tourner en se maniérant devant son miroir sur un air de valse. C’est une invention assurément fort plaisante que de raconter des anecdotes à ses convives pour leur faire oublier qu’on n’a point à leur offrir de rôti ; mais de tels expédiens, pour réussir dans le monde, ont besoin de tout l’esprit d’une d’Aubigné, et personne au théâtre n’en est la dupe. D’autres sont plus raisonneurs, plus poètes, Aimé Maillart n’était qu’un artiste convaincu, travaillant en dehors des théories d’école, préférant la vie au rêve, le réel au nébuleux, et composant une œuvre au demeurant très française, ce qui doit, aujourd’hui surtout, nous rendre sa perte deux fois regrettable.

Ce fut aussi un esprit très français que l’auteur de la Muette et du Domino noir, mais qui, par son grand âge, se désintéressait, se dépaysait de plus en plus. M. Auber appartenait de fait au XVIIIe siècle. Ses habitudes de courtoisie, le tour spirituel et vif de sa conversation, son égoïsme aimable, ses mœurs galantes, tout, jusqu’à certaines particularités de son génie, l’y rattachait. Montesquieu dit que la galanterie est l’hypocrisie de l’amour ; n’en serait-ce pas plutôt, l’esprit ? Toujours est-il qu’à défaut d’amour M. Auber eut cet esprit qui, pendant près de trois quarts de siècle, l’aida merveilleusement à se tirer d’affaire dans la vie, non moins qu’au théâtre. Revenir sur ses ouvrages, à quoi bon ? quand nous avons tant de fois ici même loué, critiqué, enguirlandé de nos enluminures les plus patientes la serinette kaléidoscopique de ce répertoire dont l’infatigable manivelle n’a cessé de tourner aux applaudissemens de trois générations. N’abusons ni de l’analyse ni de la synthèse ; et laissons à de plus habiles, à de plus courageux, le soin de relever le nombre des partitions de l’illustre défunt, de les classer catégoriquement selon leur date et d’apprendre à qui l’ignore que François-Esprit Auber, mort à Paris directeur du Conservatoire à quatre-vingt-huit ans, fut dans son art un maître d’un certain mérite, et passa très agréablement sa vie à composer en grand musicien de petite musique.

S’il fut vraiment et complètement heureux jusqu’à la fin, comme on s’accorde à le croire, cette loi imperturbable du travail, qu’il s’était dès le jeune âge imposée et à laquelle il ne faillit jamais, entra pour beaucoup dans son bonheur. Contradiction singulière, nous estimons, nous déclarons le temps la chose au monde la plus