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la société la plus fortement organisée qui ait jamais été, Rome avait le nom de famille, plus complexe même et plus développé que chez nous, plus articulé, si l’on peut ainsi parler, rendant mieux compte, dans son unité variée, du passé de la famille, de ses ramifications, de ses titres divers à l’estime et au respect. A Athènes au contraire, il n’y a, pour parler le langage moderne, que des noms de baptême. Chaque citoyen ne porte qu’un nom, légèrement déterminé dans les usages de la vie civile par le nom du père et celui du dème ou bourg natal, qui s’y ajoutent presque toujours. Là aussi il y a bien eu une certaine tendance à fixer et à perpétuer le nom ; mais elle ne s’est marquée que par le fréquent retour de deux mêmes noms, se succédant, chez une même famille, dans un ordre toujours pareil et passant constamment du grand-père au petit-fils : Apollodore fils de Thrasylle, Thrasylle fils d’Apollodore. Il y avait bien, en outre, des noms patronymiques, comme Alcméonides et Eumolpides, mais ils désignaient l’ensemble de la famille, du clan, ils n’étaient portés par personne. Qu’il y a loin de là à cette riche détermination du nom latin, surtout si on le prend chez quelque grand personnage, comme Publius Cornélius Scipio Æmilianus Africanus Numantinus ! On a ici d’abord le prénom qui distingue ce personnage des autres membres de sa famille ; on voit ensuite à quelle gens patricienne il appartient et auquel des groupes de familles dont elle se compose, puis à quelle autre grande maison aristocratique se rattache par le sang cet Émilius, fils adoptif des Scipions, qui confond ainsi en lui les gloires de deux nobles races ; enfin les deux derniers surnoms indiquent et par quels exploits s’est signalée la famille qu’il représente et par quelles actions illustres lui-même a rehaussé et rajeuni cette vieille renommée héréditaire.

Il n’en va pas ainsi à Athènes, et cette maigreur, cette sécheresse du nom, révèle une des faiblesses de la société grecque, un des côtés par lesquels elle le cède à la société romaine, tandis qu’elle lui est supérieure sous tant d’autres rapports. La famille n’est pas ici tout ce qu’elle est à Rome ; les mœurs et les lois n’ont pas conspiré, comme à Rome, pour serrer avec une force inouïe les nœuds que forme la nature. Pourtant, si Athènes n’a rien connu de pareil à cette redoutable puissance paternelle, qui était comme la pierre angulaire du monde romain, du moins, sous l’influence du sentiment religieux et du culte domestique, la génération présente s’y préoccupait, bien plus qu’elle ne le fait dans nos sociétés modernes, de se rattacher à celle qui l’avait précédée et à celle qui la suivrait, aux ancêtres et à la postérité. Athènes n’avait pas su constituer le nom, qui est le symbole immatériel de la famille et qui la représente à l’esprit des hommes ; mais elle veillait avec un scrupule jaloux et une pieuse tendresse sur ce qui en est le