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à d’incalculables conséquences, elle se trouverait, elle, puissance neutre, condamnée à payer après dix ans une bonne partie des frais de la guerre de la sécession. Les Américains auraient découvert là un moyen ingénieux d’amortir leur dette. Si insoluble que semble la question, elle sera résolue pacifiquement sans nul doute. Il serait par trop étrange qu’une guerre éclatât pour un tel motif. Les États-Unis eux-mêmes n’y ont point songé certainement. Tout au plus se sont-ils dit que, si l’Angleterre ne cédait pas, ils resteraient armés de leurs réclamations, et, à la dernière extrémité, que, si une occasion favorable se présentait, ils pourraient peut-être se jeter sur le Canada comme sur un gage à leur convenance. Le plus vraisemblable encore est que tout se terminera avec de l’argent. Il n’est pas moins cruel pour l’Angleterre de se sentir serrée de si près, de se trouver dans cette alternative d’avoir à plier devant d’exorbitantes prétentions, ou d’être exposée à d’incessantes menaces.

Certes l’Angleterre est assez forte pour sortir avec honneur de ce conflit et de bien d’autres. Les nations libérales ne peuvent se réjouir de ses embarras. On nous permettra bien seulement une simple réflexion. L’Angleterre paie peut-être aujourd’hui les frais non de sa politique pendant la guerre de la sécession américaine, mais de la politique d’effacement et d’abstention qu’elle suit depuis quelque temps. Les hommes qui la gouvernent ont cru habile de la désintéresser des affaires du continent, de se retirer dans ce qu’on appelait, ces jours derniers encore en pleine chambre des communes, un système de « contemplation bouddhique, » de laisser notamment succomber la France. C’est une politique qui a eu sa popularité au-delà de la Manche, nous en convenons. Ce qui n’est pas moins certain, c’est qu’avec ce système, dans l’espace d’une année, l’Angleterre a eu deux fois à essuyer des déboires qu’elle n’aurait pas essuyés, si la France, son alliée d’autrefois, eût été debout. Un membre distingué du parlement, qui a été sous-secrétaire d’état aux affaires étrangères et qui s’est séparé du cabinet l’an dernier pendant la guerre franco-prussienne, M. Otway, dans un discours qu’il prononçait l’autre jour devant ses électeurs de Chatham, combattait justement cette politique d’abdication. Il rappelait que l’empire britannique ne s’était pas formé par l’abstention, il exprimait la pensée que les désastres de la France n’étaient pas une condition de sécurité pour l’Europe ; il aurait voulu que l’Angleterre se mit, l’année dernière, à la tête d’une alliance des puissances neutres pour faire prévaloir des idées de conciliation et de modération dans l’état nouveau de l’Europe. Ce qu’un sentiment de prévoyance et le soin de sa grandeur ou de son influence légitime pouvaient inspirer de mieux à l’Angleterre, ce n’était point sans doute de se jeter aventureusement au milieu d’un combat que sa prudence avait déconseillé, c’était d’avoir la hardiesse opportune d’une de ces hautes et impartiales médiations qui sont un acte de puissance : c’était d’intervenir non pour