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LES ÉCOLES D’APPRENTIS.

tutélaire, de la rendre plus profitable à l’enfant, d’y puiser les élémens d’une meilleure préparation pour sa carrière. Neuf fois sur dix, ils ont échoué devant les préjugés ou les mauvaises dispositions des parties intéressées, surtout devant la complicité du père et du patron, aggravée par la volonté souvent très résolue de l’enfant. Que faire dans ce cas ? La loi ne laisse pas même aux prud’hommes le droit d’intervenir d’office ; ils n’agissent que sur la plainte des familles. Et quelle est alors la base de leurs jugemens ? Des engagemens sans précision, sans authenticité. Pour s’assurer d’une donnée certaine, quelques conseils avaient demandé qu’on rendît obligatoire le dépôt du contrat dans leurs archives ; ils ne l’ont pas obtenu, et force leur est de continuer à rendre la justice à tâtons sur des assertions vagues, souvent contradictoires. Cette réforme fût-elle enlevée de haute lutte, le fond du problème n’en serait pas moins intact. Quel moyen a-t-on de contraindre le patron à initier l’apprenti avec suite, avec persévérance, à toutes les pratiques du métier ? Même ce point admis, comment l’obliger à concilier cette tâche manuelle avec les devoirs moraux qui en sont inséparables, le respect de l’intelligence et des forces de l’enfant, de son honnêteté et de sa santé ? Enfin, le patron une fois réduit à l’impuissance de mal faire, il reste encore à compter avec les familles et avec ce conseiller intraitable que l’on nomme le besoin. Or comment introduire dans les cadres d’une loi cette collection de personnes qui, à des degrés divers, se substituent à l’enfant, parlent, agissent pour lui, et font peser sur sa vie entière la responsabilité de déterminations où il n’a joué qu’un rôle passif ? Évidemment on change ici de domaine, la loi refuse son office, c’est aux mœurs et aux coutumes à y suppléer.

On a vu que les deux tiers environ des apprentis sont dispersés dans les petites industries de Paris, par unités le plus souvent. Il convient d’ajouter que cette condition est généralement la meilleure. La famille recommence alors sous une autre forme pour les enfans qui y sont engagés, et, sous les yeux d’un maître qui est lui-même un ouvrier, la profession n’a bientôt plus de secret pour eux. Elle s’exerce à découvert. Tout devient plus aisé quand on se perd si peu de vue et que de bonnes habitudes rendent d’un côté le commandement plus doux, de l’autre l’obéissance plus facile. Un lien direct se forme alors et peu à peu se resserre ; quand les caractères s’y prêtent, le maître prend goût à l’éducation de son élève et en tire quelque orgueil ; avec le temps, il s’en fait un aide qui souvent le dépasse. Il n’y a pas à chercher ailleurs que dans ces petits ateliers les ingénieux artisans qui, à travers, les révolutions et les guerres, ont porté si loin et maintiennent avec tant d’éclat la renommée de la fabrique de Paris. C’est là que s’acquièrent ce que