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pourrait donc bien que ce fût dans les spectacles familiers au voisinage de sa petite maison qu’il fallût chercher le germe premier de la Cruche cassée, de l’Accordée de village, de l’Enfant maudit, et de tant d’autres œuvres si agréables aux heures où il ne déplaît pas à notre sensibilité qu’on lui demande un soupçon de larmes. Tournus a élevé à son aimable enfant une statue qui lui donne l’air d’un jeune marquis en habit de velours et en jabot de dentelles, échappé d’un jardin de Watteau ; il est bien vrai qu’il tient à la main une palette et un pinceau, mais ces insignes de sa profession semblent n’être là que pour nous dire : vous voyez, notre maître peint pour s’amuser, et à ses heures de loisir. Pendant que je regarde cette statue où le talent de Greuze a été fort infidèlement représenté, un jeune ouvrier tout près de moi fait le geste de lancer contre elle un marteau dont il est armé. Ce geste iconoclaste m’a donné un moment l’envie presque irrésistible de m’adresser à son auteur, et de lui dire : « Ma foi, casse si cela t’amuse, d’autant plus que tu ne casseras pas un chef-d’œuvre. Et puis le malentendu de ta brutale plaisanterie ne laissera pas que d’être divertissant, car, si tu crois que celui dont voici la représentation fut élevé sur les genoux d’une duchesse, tu es dans la plus grande des erreurs. Casse donc, c’est l’effigie d’un des tiens, l’image d’un de tes frères, plus pauvre à l’origine que tu ne me parais l’avoir jamais été, mais qui par l’adresse intelligente de sa main, par l’application studieuse de son œil, et la gentille sensibilité de son cœur, a su s’élever jusqu’à une sphère dont ton geste brutal montre que tu ne serais pas digne, et mérité de laisser un souvenir aimable dans la mémoire des hommes. »

Mâcon ne m’a offert qu’une seule particularité vraiment intéressante, c’est le contraste que présentent ses édifices civils avec ceux de la plupart des villes de France. L’hôtel de ville, qui étend devant la Saône sa longue façade jaunâtre d’un assez noble aspect, est l’ancien palais épiscopal des deux derniers siècles. Le palais de justice, situé tout au haut de la ville, est un petit hôtel du dernier siècle, d’un air suranné tout à fait charmant, précédé d’un peut jardin à physionomie vieillotte, où poussent quelques minces tiges vertes et quelques pâles fleurs semblables aux souriantes paroles d’un vieillard affable : hôtel et jardin chevrotent avec une grâce extrême. Ce serait un local merveilleusement trouvé pour y ouvrir un cours de menuets, de gavottes et d’autres danses du bon vieux temps, accompagnés sur la harpe et le clavecin. À la bonne heure ! une fois au moins nos yeux n’auront pas été ennuyés de cet invariable temple grec précédé de ses maussades colonnes qu’on décore partout du nom de palais de justice. Malgré le faible intérêt que Mâcon offre au touriste dans son état actuel, j’ai prolongé cependant mon séjour dans cette ville, parce que j’étais désireux de