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anglais ont amené la découverte d’une substance gélatineuse recouvrant les-pierres et le fond de la mer, à laquelle Huxley a donné le nom de bathybius Hœckelii. Cette substance, lorsqu’elle est divisée, forme de petites masses composées uniquement d’albumine, sans aucune trace d’organisation, mais possédant la faculté de se nourrir et de s’accroître en englobant les infusoires microscopiques qui s’accolent à elle et de se mouvoir au moyen de prolongemens digitiformes. Cet être, le plus simple que l’on connaisse aujourd’hui, semble avoir réalisé la conception de Lamarck. L’origine en est inconnue ; mais il serait possible que cette substance se produisît par voie de génération spontanée sous les énormes pressions auxquelles elle est soumise. En effet, les expériences modernes ont prouvé qu’il n’y a point eu de génération spontanée là où l’on avait cru constater ce phénomène, mais elles n’ont nullement démontré que la génération spontanée soit impossible avec le concours d’un ensemble de circonstances qui n’ont point encore été réalisées dans nos laboratoires.

Si tous les êtres animés sont sortis d’une souche commune, les rapports, les relations que nous observons entre eux, sont la conséquence nécessaire d’une même origine et non pas la preuve d’un plan préconçu d’avance ; par conséquent les classifications, même celle dite naturelle, constituent, suivant l’expression de Lamarck, les parties de l’art[1] dans la science des êtres organisés. En effet, les genres, les familles, les ordres, les classes, les embranchemens, ne sont jamais limités naturellement, il y a toujours des passages insensibles entre eux. C’est l’idée d’une chaîne animale déjà formulée nettement par Aristote lorsqu’il disait[2] : « La nature passe d’un genre et d’une espèce à l’autre par des gradations imperceptibles, et depuis l’homme jusqu’aux êtres les plus insensibles, toutes ses productions semblent se tenir par une liaison continue. » Un grand zoologiste, de Blainville, sans partager toutes les opinions de Lamarck, a été jusqu’à la fin de sa vie le défenseur le plus convaincu et le plus autorisé de la chaîne animale. Lamarck a même figuré d’une manière synoptique la filiation du règne animal, d’abord dans sa Philosophie zoologique, t. II, p. 424, et ensuite dans l’Introduction au système des animaux sans vertèbres, t. Ier, p. 320. Ces tableaux ont été perfectionnés depuis par M. Hæckel dans son Histoire naturelle de la création[3]. La paléontologie et l’embryologie, qui n’existaient pour ainsi dire pas à l’époque où Lamarck écrivait, sont

  1. Tome Ier p. 38.
  2. Historia animalium, lib. VIII, cap. I, et Voyage du jeune Anacharsis, t.V, p. 344.
  3. Voyez cet ouvrage et la Revue du 15 décembre 1871.