Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans savoir ce que j’ai voulu se croirait en droit de dire que je me suis trouvé réveillé par le dernier terme d’une série toute fortuite de causes et d’effets, et il se tromperait. Si l’on veut bien ennoblir quelque peu cet exemple vulgaire, on comprendra pourquoi d’une part il est parfaitement licite aux sciences naturelles de bannir les causes finales de leurs explications, et pourquoi d’un autre côté la philosophie sensée dira toujours qu’il y a des fins dans la nature. Si par impossible l’homme parvenait à décrire la connexion, la génération logique de tous les faits de l’univers, sans rencontrer une seule fois un fait intentionnel et voulu, il suffirait de réfléchir sur le dernier terme de la série, l’esprit humain, pour affirmer l’intelligence et la volonté du premier. Naturellement cette affirmation influerait sur l’idée qu’on doit se faire de la série totale. La plus grande objection philosophique au système de M. Darwin, que d’ailleurs tant de faits recommandent, une objection qui tend plutôt à lui reprocher d’être incomplet que d’être faux, c’est qu’il voudrait ramener tout le développement organique à des causes fortuites qui auraient pu tout aussi bien ne pas être. La concurrence vitale et la sélection sexuelle, voilà, en y joignant l’hérédité (cet autre profond mystère), les seuls facteurs qu’il assigne à ce prodigieux déploiement de la vie qui aboutit par une série de transformations innombrables à l’éclosion du génie humain. Eh bien ! c’est trop de hasard pour une pareille fin. Tout ce qu’il a dit peut être vrai, mais ne saurait détruire le sentiment qu’il a dû y avoir plus d’intention, plus de raison que cela dans le cours des choses ; il le faut pour qu’à l’extrémité de la chaîne la raison humaine ait pu se dégager, consciente et réfléchie, du dernier anneau.

Il a paru dans ces derniers temps en Allemagne un ouvrage de philosophie très intéressant et très instructif, la Philosophie de l’inconscient, par M. Hartmann, l’un des disciples les plus distingués de Schopenhauer. A l’exemple de son maître, M. Hartmann considère le monde comme gouverné par une volonté qui s’ignore. Son dieu, ou plutôt son monde est inconscient, mais il veut. A l’appui de ce panthéisme d’un nouveau genre, il cite des faits sans nombre pour montrer combien la science révèle de finalités voulues dans la nature. C’est au point que M. Strauss, que la seule idée des causes finales exaspère, le semonce assez vivement et lui remontre que, lorsqu’on voit tant de causes finales dans le monde, on a mauvaise grâce à nier l’intelligence et la volonté consciente de sa cause première. C’est une partie curieuse engagée entre les deux panthéistes ; il se pourrait bien qu’ils la perdissent tous les deux. Pour nous, il nous suffirait du monde tel que M. Strauss le décrit pour y trouver la confirmation de la thèse essentielle du