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éclairées au gaz et arrosées par des fontaines, les squares sont nombreux et bien entretenus ; les moindres détails, tels que les désignations des noms des rues et le numérotage des maisons, sont traités avec un soin minutieux. Ces travaux sont d’autant plus méritoires que la plupart de nos vieilles cités furent jadis bâties au hasard sans aucun souci de l’alignement et de la régularité. Aux États-Unis, il n’en est pas de même. Les villes, tracées dès le principe sur un plan d’ensemble préalable, se composent de rues et d’avenues de grande largeur, qui se coupent toujours à angle droit. Elles sont situées, sauf peu d’exceptions, sur des terrains plats où nul accident du sol n’en arrête l’expansion. La population ne s’y entasse pas dans des maisons à étages multiples, ruches humaines non moins incommodes qu’insalubres. Les habitans se portent volontiers vers les faubourgs, sans se préoccuper beaucoup de la distance qu’ils ont à parcourir chaque jour pour se rendre à leurs affaires.

C’est qu’aussi ces vastes avenues, larges, plates et bien droites, comportent des moyens de transport que nous oserions rarement admettre chez nous. Ainsi les tramways ou chemins de fer à traction de chevaux y ont pris une prodigieuse extension ; on en compte, dit-on, de 6,000 à 7,000 kilomètres aux États-Unis. A New-York seulement, il y a vingt compagnies de ce genre, et, sur les lignes principales, les omnibus se succèdent de minute en minute ; 157 millions de voyageurs y prennent place en une seule année. Ces grosses voitures, qui transportent jusqu’à 40 personnes à la fois, créent bien quelque danger pour les modestes piétons. On compte une centaine d’individus écrasés chaque année. On ne s’en trouble pas outre mesure ; ce sont, dit-on, surtout des ivrognes qui se couchent la nuit en travers de la rue. Avec pareille abondance d’omnibus, de chemins de fer, de bateaux à vapeur, il n’est guère d’usage d’aller à pied. Aussi les rues sont-elles mal pavées, les trottoirs sont-ils inégaux. Parfois ce sont de simples plates-formes en bois en dessous desquelles les immondices s’accumulent. C’est ce que l’on voyait notamment à Chicago, où ce fut l’une des causes aggravantes du terrible incendie qui a dévoré cette ville presque entière. Les Américains prennent soin du moins de remédier à ce que ces inconvéniens ont de plus grave par d’abondantes distributions d’eau. En somme, au point de vue du luxe, leurs plus beaux quartiers laissent beaucoup à désirer. Ils attendent, assure M. Malézieux, que le besoin s’en fasse réellement sentir ; il est probable aussi qu’ils jugent plus utile d’exécuter d’abord les travaux plus indispensables. Une contrée si neuve, où l’on fait en cinquante ans ce qui nous a demandé des siècles, ne peut se livrer encore à la manie des embellissemens.