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d’en adapter les leçons aux exigences de notre civilisation, on conçoit mieux l’utilité que peuvent avoir les livres consacrés à l’histoire de cet art, et les rapprochemens nécessaires qu’ils impliquent entre les traditions du passé et les progrès à poursuivre dans le présent. N’est-ce pas en effet la relation exacte de ces deux termes qui constitue, à vrai dire, l’archéologie, ou qui du moins réussira seule à en féconder les travaux ? N’est-ce pas à la condition d’être comprise comme Ingres l’entendait dans son art ou André Chénier dans le sien, que l’imitation de l’antique peut et doit avoir force de loi ? Sans invoquer d’aussi hauts exemples, et pour ne parler que de ce qui s’opère autour de nous, nous rappellerons combien les études qui ont l’antiquité pour objet se sont développées et perfectionnées dans notre pays depuis un certain nombre d’années. Aucun archéologue ne songerait aujourd’hui à réduire sa tâche aux chétives proportions ou à l’emploi des moyens conventionnels dont on s’accommodait autrefois, — pas plus que dans le domaine de l’architecture ou dans celui de la poésie dramatique on ne s’aviserait de contrefaire les chefs-d’œuvre grecs ou romains à la façon de Peyre et de Chalgrin, de Luce de Lancival ou d’Arnault. Que l’érudition étrangère n’ait pas été sans influence sur ce progrès, que le mouvement scientifique accompli, en France ait puisé au dehors, particulièrement en Allemagne, une force d’émulation qui devait à certains égards l’activer, c’est ce qu’il est juste de reconnaître. Les travaux sur la Grèce d’Ottfried Muller et de quelques autres ont sans doute préparé en partie les recherches ou les découvertes qui ont suivi, et M. Beulé ne manque pas de signaler dans son livre le profit que nos compatriotes ont pu tirer quelquefois des indications fournies ou des exemples donnés par des savans allemands ou anglais ; mais il sera au moins aussi juste de tenir compte des occasions où tout s’est passé sans ces secours ou ces stimulans préalables, où tout a été l’œuvre d’inspirations spontanées, le résultat d’observations indépendantes. Incessamment accrue par des travaux de plus en plus propres à cimenter l’alliance de l’art et de l’archéologie, la somme des services qu’a rendus la science française contemporaine est devenue assez considérable pour qu’il soit plus que difficile d’en trouver ailleurs l’équivalent. Au milieu de nos désastres, cette supériorité du moins nous reste, ces titres d’honneur nous appartiennent bien, et l’on est certes fondé à dire que, comme notre art national reconnu aujourd’hui sans rival en Europe, notre école archéologique tient et mérite d’occuper aux yeux de tous le premier rang.


HENRI DELABORDE.