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desquels notre influence politique sera annulée, nos intérêts commerciaux seront sacrifiés, — et ce démembrement soulèvera inévitablement des luttes, des conflits locaux, qui entraîneront les puissances de l’Europe dans les dissentimens les plus périlleux.

« J’ai donné à ces matières pendant quelques années l’attention la plus suivie et la plus consciencieuse. Je ne sache pas que j’aie jamais eu une conviction plus arrêtée sur aucun sujet d’une importance égale, el je suis très sûr que, si mon jugement sur cette question est erroné, il ne peut être que de peu de valeur sur aucune autre.

« Deux fois mon opinion sur ces affaires a été écartée par le conseil, deux fois la politique que je conseillais a été rejetée : 1° en 1833, lorsque le sultan envoya demander notre appui avant que Méhémet-Ali eût fait aucun progrès matériel en Syrie, et lorsque la Russie exprima le désir que nous vinssions au secours du sultan, disant néanmoins que, si nous nous y refusions, elle se porterait elle-même en avant, 2° en 1835, quand la France était prête à s’unir à nous dans un traité avec le sultan pour le maintien de l’intégrité de son empire. Les événemens qui survinrent ensuite, dans chaque cas, ont démontré que je n’avais point exagéré l’imminence du péril que je voulais conjurer, ni l’importance des difficultés que je voulais prévenir. Nous sommes aujourd’hui en présence d’une troisième crise où la résolution du cabinet britannique exercera une influence décisive sur les événemens futurs ; mais cette fois le danger est plus apparent, moins déguisé, — le remède est plus efficace, plus complètement à notre disposition.

« La question est de celles qui appartiennent à mon propre département ; je serais personnellement et d’une façon toute particulière responsable de toute conduite dont j’entreprendrais la direction. Je suis donc certain que vous ne sauriez vous étonner si je me refuse à être l’instrument d’une politique que je désapprouve, et qu’en conséquence je me sois arrêté à la détermination que j’ai formulée au commencement de cette lettre.

« Croyez-moi, mon cher Melbourne, votre tout dévoué,

« PALMERSTON. »


Les considérations ainsi développées furent décisives, et entraînèrent jusqu’au bout tous les collègues de celui qui les présentait si habilement. Elles étaient assez plausibles, assez péremptoires peut-être pour justifier la politique de lord Palmerston, mais elles ne sauraient expliquer ses procédés. Le secret profond avec lequel le traité du 15 juillet fut préparé et signé constituait en lui-même une bien gratuite offense pour la France, pour son gouvernement et pour l’ambassadeur dont le ministre anglais parlait avec une si juste considération. Nous n’avons trouvé nulle part une excuse