Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ambition à son fils aîné Godefroi le Barbu, qui s’attira des coups très rudes de la part d’Henri III, contre lequel il s’était révolté. C’est sur les ruines de la fortune de Godefroi le Barbu que s’étaient élevées les maisons d’Alsace-Lorraine et de Luxembourg (1038-1048) ; mais Godefroi, privé de son duché, avait été chercher fortune ailleurs. Parent de Léon IX, il fut lui offrir sa bonne épée dans la guerre contre les Normands, et se fit un nom en Italie, où il épousa, vers 1053, Béatrix, veuve de Boniface, marquis de Toscane, mère et tutrice de la fameuse et grande comtesse Mathilde, dont nous aurons bientôt à parler. Léon IX, qui avait réparé les affaires du Barbu, s’occupa aussi de celles de son frère Frédéric, le fit d’église et cardinal, et en légua la protection à Victor II, qui lui confia une importante mission à Constantinople, où il s’acquit tant d’honneur et d’où il rapporta tant d’argent qu’il devint suspect à Henri III, toujours très méfiant à l’endroit de cette race active et entreprenante. C’est alors que, dégoûté d’un monde injuste et soupçonneux, Frédéric s’était retiré au Mont-Cassin, dont bientôt il avait été nommé abbé. Poursuivant sa bonne œuvre, Victor II avait réconcilié Godefroi et le moine son frère avec Henri III, et dissipé les ombrages de la maison de Franconie à l’endroit d’une compétition, pendant le dernier voyage qu’Henri fit en Allemagne (1056-1057), et Frédéric était entré pendant ce temps dans l’intimité d’Hildebrand, dont il partageait la passion pour la réforme de l’église[1] — Lorsque l’évêque d’Albano vint annoncer à Rome la nouvelle imprévue de la mort de Victor II, les amis d’Hildebrand, lequel était auprès du pape mort, se réunirent aussitôt chez le cardinal Frédéric à Rome. Il y fut dit que, l’empire étant vacant par le décès d’Henri III, ils pouvaient procéder directement d’eux-mêmes à l’élection d’un pape, sans attendre les ordres de la cour de Germanie. L’argument était subtil, mais il y avait apparence de droit, le successeur d’Henri III n’ayant pas encore été couronné empereur. La délibération conclut à passer outre à l’élection immédiate. Frédéric proposait Hildebrand au choix des Romains, mais ceux-ci, entraînés par les amis d’Hildebrand lui-même, proclamèrent à l’instant Frédéric, qui prit le nom d’Etienne parce que c’était le jour commémoratif de la mémoire de ce saint apostolique.

Le nouveau pape dépêcha Hildebrand à Ratisbonne pour expliquer l’affaire avec les ménagemens convenables à la cour de Germanie, où l’on sentit le coup, mais où l’on avait des préoccupations plus particulières qui imposaient la réserve et l’attente du moment

  1. Sur toute cette affaire d’Etienne IX, voyez Gfrörer, t. Ier, passim ; — l’Art de vérifier les dates, t. III, p. 101, et t. I", p. 178 ; Baronius-Tlieiner, XVII, passim, et Saint-Marc, Abrégé chronologique de l’histoire générale d’Italie, t. III, p. 236 et suiv.