Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/647

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menacé en sa personne, n’osa plus se montrer. L’évêque de Passau, ayant suivi l’exemple de celui de Mayence, n’échappa qu’avec peine à l’emportement tumultueux de la faction des prêtres mariés[1] Grégoire annonça qu’il ne reculerait devant aucune extrémité[2] pour avoir raison de ces désordres.

L’année 1075 ne vit pas la fin de la guerre civile et des soulèvemens. Henri IV, déployant des facultés qu’on ne soupçonnait pas, organisa une résistance efficace et régulière. Rodolphe de Rhinfelden, son beau-frère et duc de Souabe, battit et dispersa les Saxons en Thuringe. La révolte parut un instant étouffée. Henri convoqua une diète à Goslar, et crut avoir pacifié la Saxe ; mais les légats du pape se présentèrent à la diète, et citèrent de nouveau l’empereur devant le pape pour se justifier. En présence d’un acte aussi ouvertement hostile, Henri ne garda plus de mesure ; retournant en hâte sur le Rhin, où il était en force, il convoqua un concile à Worms, où sous sa présidence les évêques de la contrée condamnèrent et déposèrent le pape pour avoir osé se constituer juge de son souverain. D’un autre côté, une conspiration éclata dans Rome, fomentée par les amis d’Henri IV et les Cenci, et dans la nuit de Noël 1075, Grégoire, qui officiait à Saint-Pierre, fut enlevé de l’église par des hommes armés et renfermé dans une tour, d’où le tira non sans peine la population, soulevée à la nouvelle de cet attentat. Il faut lire, dans l’ouvrage de M. Villemain, le récit de ce dramatique événement, où tout le talent de l’éminent écrivain s’est déployé à plaisir. En janvier 1076, le pape lance contre Henri l’anathème dont il l’a menacé, le déclare déposé de la dignité royale et impériale, et délie ses sujets du serment de fidélité à son égard. Les assemblées tumultueuses se multiplient alors en Allemagne. La grande féodalité croit le moment venu d’écraser la royauté. Dans les pays même restés sous l’obéissance de l’empereur, à Utrecht, à Oppenheim, à Tribur, les princes réunis proposent de déposer l’empereur, juxta palatinas leges, s’il refuse de se purger des accusations qui pèsent sur lui et de se faire relever de l’excommunication. La fidélité de Rodolphe de Rhinfelden est ébranlée par le mirage de la couronne impériale qu’on présente à ses regards ambitieux, et le pape est invité à se rendre à Augsbourg pour être juge et médiateur entre les états d’Allemagne et le souverain. Les peuples sont entraînés dans le parti de la révolte, et la plupart des évêques

  1. Voyez Lambert, édit. citée, p. 328-29. Il faut lire ces deux pages pour avoir une idée juste des déportemens ecclésiastiques de l’époque.
  2. Il disait dans une lettre que nous lisons au Registrum : Tutius nobis est defendendo veritatem… ad usque sanguinem nostrum resistere, quam iniquitatem consentiendo… ad interitum ruere.