Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avait fait aucun préparatif pour les recevoir à la Guyane. Quelques jours après leur débarquement, on les conduisit jusqu’au bourg de Sinnamarie, composé d’une douzaine de maisons ; on les y déposa presque nus, affamés, sans abris. La plupart y moururent. La déportation des seize premiers exilés fut suivie de la transportation de prêtres, de journalistes et autres réactionnaires de l’époque, au nombre de plus de cinq cents. Ils furent arrêtés, embarqués simplement parce qu’ils figuraient sur des listes de suspects. La mortalité fut effrayante. Jamais gouvernement ne fit preuve d’un dédain plus cavalier de la justice et d’un tel mépris de la vie humaine. Les successeurs de ces jacobins avaient-ils le droit de crier à l’arbitraire ?

Ce qui se dégage de l’examen des lois et décrets sur la transportation, rendus de 1850 à 1855, c’est la règle suivante, applicable à tous les transportés sans distinction, politiques ou provenant des bagnes : l’obligation du travail leur était imposée, et ils étaient soumis à la subordination et à la discipline militaires. En cela, la loi était logique ; le but étant la colonisation, elle prescrivait le travail, et dans la prévision de la résistance des condamnés elle les soumettait aux conseils de guerre. Pourquoi ces sages prévisions n’ont-elles pas assuré le succès de la transportation ? C’est ce qu’il sera facile de faire comprendre.


I

Nous avons dit que la loi sur la déportation adoptée en 1850 avait en vue les prisonniers politiques, particulièrement ceux qui étaient restés entre les mains du gouvernement à la suite des événemens de juin 1848. On imagina de les conduire en Algérie. L’occupation de ce territoire par notre armée répondait aux craintes de ceux qui pressentaient un danger dans l’agglomération d’hommes entreprenans ; d’un autre côté, le caractère hardi de ces prisonniers semblait les rendre propres à coloniser un pays récemment conquis sur les Arabes et exposé à leurs incursions. On les distribua dans plusieurs campemens, on leur fournit les vivres, les instrumens et la terre ; mais on ne put obtenir d’eux aucun travail. Pour justifier leur oisiveté, ils se retranchaient dans leur prétendue dignité de prisonniers politiques et de conspirateurs. Les fonctionnaires et officiers préposés à la garde et à la surveillance de ces prisonniers furent promptement découragés par leur mauvaise volonté et leurs refus opiniâtres, devant lesquels on était désarmé. On ne trouva rien de mieux que d’envoyer les récalcitrans à Lambessa, dans la province de Constantine.