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refusent tout travail et laissent tomber dans la misère et la dégradation les pays de leur résidence. Les transportés de droit commun, les criminels ordinaires, se livrent sans résistance au travail et transforment la colonie qu’ils habitent ; mais l’insalubrité de cette colonie détruit leurs forces, et l’œuvre heureusement commencée est abandonnée.


II

Cette épreuve aurait dû nous instruire. Le travail étant reconnu indispensable à tout essai de colonisation, et la loi l’ayant imposé à tous les déportés sans exception, il fallait la faire exécuter ; mais cette loi, les condamnés avaient pu la braver impunément. Il suffisait donc, en maintenant la loi du travail, de prévoir les moyens d’y assujettir tous les déportés sans exception. Qu’a-t-on fait ? Précisément le contraire. On a rayé de la loi nouvelle, celle du 23 mars 1872, l’obligation de travailler, que l’ancienne imposait. Cette loi dit « que les condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée jouiront de toute la liberté compatible avec la nécessité d’assurer la garde de leur personne et le maintien de l’ordre, et que les condamnés à la déportation simple jouiront d’une liberté qui n’aura pour limite que les précautions indispensables pour empêcher les évasions et assurer la sécurité et le bon ordre. » Et pour qu’on ne puisse se méprendre sur la signification et la portée de ces deux articles, le rapporteur de la loi a pris soin de rappeler « qu’au lieu et place de la déportation le transporté n’est soumis à aucun travail. » Ainsi la loi de l’empire était insuffisante pour obliger les déportés au travail : on la réforme, — et quelle est la disposition qu’on adopte ? On supprime l’obligation de travailler.

Pourquoi cette inconséquence ? Pourquoi la loi est-elle ainsi timide et prend-elle mille ménagemens ? L’esprit public, si mobile en France, s’est d’abord ému d’horreur à la vue des bandes d’incendiaires et d’assassins d’otages qui traversaient Paris, au mois de juin 1871, entre deux rangées de soldats. Il y avait des femmes n’ayant de leur sexe que le nom. Tous les mauvais instincts et particulièrement la méchanceté et l’envie étaient peints sur leur figure. Les hommes formaient des groupes qui rappelaient ceux de Callot ou les recrues de Falstaff. Un grand nombre de ces gens-là étaient non pas de vrais ouvriers, mais ce qu’on appelle des rôdeurs de barrières, ces hommes qui font leurs galeries des boulevards extérieurs et résident principalement dans les boutiques de marchands de vin. Les têtes intelligentes étaient dans cette cohue en infime