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III

Cette étude ne serait pas complète, si nous omettions d’y joindre quelques renseignemens sur le personnel et les élémens de la transportation actuelle. Après l’entrée de l’armée dans Paris, de nombreux prisonniers furent dirigés sur Versailles. On les conduisait d’abord à l’Orangerie, où ils subissaient un premier interrogatoire qui servait à les classer en trois divisions : les intéressans, les compromis et les dangereux. Les uns allaient ensuite à Satory ; les autres étaient répartis dans les prisons des Grandes-Écuries de Noailles, des Chantiers ou autres établissemens et magasins transformés en maisons de détention. La justice militaire, immédiatement saisie, ne tarda pas à commencer son œuvre. Sa tâche était lourde : plus de 40,000 prisonniers ! Autant de dossiers, plus ceux des contumaces ! Jamais enquête ne fut plus complète. Vingt conseils de guerre y prirent part. Malheureusement ils n’avaient sous la main que le servum pecus ; ceux qui représentaient la pensée de l’insurrection, ceux qui en avaient le secret, si tant est qu’elle ait jamais eu une pensée et un secret, s’étaient soustraits aux investigations de la justice, Dans les derniers jours de mai, ils avaient pris la fuite, laissant la foule de leurs adhérens couvrir leur retraite en retenant l’armée devant les barricades. D’autres restaient cachés dans Paris et déjouaient toutes les recherches avec l’habileté de conspirateurs émérites. Quelques-uns seulement étaient tombés les armes à la main, comme Delescluze, aussi dégoûté de son propre parti qu’hostile à tous les autres.

Les tribunaux militaires n’avaient donc en leur présence que des physionomies insignifiantes et des accusés inconnus qui, comme de juste, devaient payer pour les autres. L’attitude de ces gens fut écœurante. On devait attendre d’eux l’affirmation éclatante de principes, la protestation de consciences se disant opprimées, la glorification des actes. Loin de là, à part une ou deux exceptions, on n’eut que des chicanes. Les accusés ergotèrent, ils nièrent l’évidence, ils invoquèrent des alibis ridicules ; ils cherchèrent, comme la foule vulgaire des malfaiteurs, leur salut dans le mensonge. Aussi les juges, qui avaient d’abord pu croire à un vaste complot politique, finirent par se borner à des condamnations pour crimes de droit commun. Le vol, l’assassinat, l’incendie, furent seuls atteints ; on dédaigna de juger l’insurrection.

De l’ensemble des procès ne résulta donc aucun éclaircissement sur les principes qui avaient dirigé cette levée de boucliers. Le conseil de la commune poursuivait-il un but clair, précis, unanime ?