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ils se réservent à l’endroit de leur presse une entière liberté d’appréciation. Le prince de Bismarck, qui a été tour à tour très attaqué et très adulé par elle, en parle sur un ton cavalier. Les journaux qui se disent indépendans traitent avec un souverain mépris les journaux qu’ils soupçonnent d’une complaisance excessive à l’égard des puissances établies. Si l’on en croit la Gazette nationale, ces journaux pullulent, et le malheur est qu’ils n’affichent pas toujours leur qualité sur leur enseigne. On ne s’y reconnaît plus, et on ne sait pas distinguer les officieux autorisés des officieux clandestins : la Gazette nationale traite ces derniers de « pirates » et de « francs-tireurs, » ce qui est une grosse injure en Allemagne. Elle demande que l’on coupe le mal dans sa racine et que l’on supprime le « fonds des reptiles, » c’est le nom qu’on donne aux fonds secrets. Entre les officieux autorisés eux-mêmes, entre ceux qui sont pourvus de lettres de marque et dûment commissionnés, il y a lutte et discorde. « La guerre entre les deux bureaux de presse officieuse de Berlin, disait la Gazette d’Augsbourg, vient d’entrer dans une phase nouvelle et tout à fait particulière : la Gazette nationale a pris ouvertement parti pour Hahn contre Œgidi. » Les personnages désignés avec ce sans-façon sont deux hauts fonctionnaires dans les attributions desquels se trouvent les deux bureaux de presse officieuse. Lorsque nous voyons les journaux allemands s’exprimer ainsi les uns à l’égard des autres, il nous est permis de n’accepter que sous bénéfice d’inventaire leurs jugemens sur notre compte. Du reste, leur ton ironique, l’air dégagé avec lequel ils considèrent toujours notre avenir, forment un contraste singulier avec l’attention minutieuse qu’ils apportent à observer tous nos efforts pour relever l’état de notre administration, de nos finances, de nos armées. On ne s’occuperait pas tant de nous, si l’on nous croyait si peu redoutables, si incapables d’un effort sérieux et prolongé. Parlerait-on alors de réorganiser l’armée allemande ? Les contributions de guerre passeraient-elles presque en entier au budget militaire ? Est-ce pour contenir les puériles velléités de revanche d’un peuple déchu que l’on construirait ces immenses places de guerre, ces camps retranchés, ces boulevards formidables ? Si nous n’étions dignes que de pitié ou de mépris, lirait-on des phrases comme celle-ci dans un ouvrage considérable écrit par un officier du grand état-major prussien[1] ? « Si l’Allemagne avait exigé de la France moins de cinq milliards, la France aurait consacré des sommes bien plus élevées encore à ses préparatifs de guerre. Il a été d’un intérêt absolu pour la sûreté de l’Allemagne de restreindre, au

  1. Le capitaine Max Jähns, Das französische Heer, Leipzig 1873, in-8o, 860 pages.