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des moyens différens de ceux qu’emploierait la monarchie. Ces moyens sont l’affaire essentielle, et c’est à les déterminer avec précision que nous devrions employer toute notre activité. L’application de ces moyens est incompatible avec le développement de l’esprit révolutionnaire et le triomphe du radicalisme. La maxime que l’anarchie mène à la dictature est un lieu-commun dans notre histoire. « C’est la voie que suit l’Espagne, dit le capitaine Jähns en terminant ses études sur notre armée, elle conduit les états au suicide. » Il semble aussi, à lire attentivement les gazettes allemandes, que la fusion du parti conservateur dans le « parti clérical » soit un obstacle au succès des conservateurs. Certes il ne s’agit pas pour ces derniers d’abandonner en Europe les traditions françaises, la protection des intérêts catholiques en Orient, ni de se séparer en France de l’église et du clergé catholique ; il s’agit de les prendre comme des auxiliaires puissans, non comme des « directeurs, » d’agir en toute occasion, en réalité comme en apparence, selon une politique exclusivement française et non pas selon la politique ultramontaine. Les tendances ultramontaines attribuées à une partie de nos hommes d’état sont un moyen d’action puissant pour M. de Bismarck contre les catholiques du sud de l’Allemagne, et la condition même de l’alliance entre la Prusse et l’Italie. Enfin l’histoire des dernières années nous montre de quel avantage il est pour un peuple de donner la première place dans ses préoccupations à la politique extérieure. Il y trouve un élément d’accord, une solution à tous les conflits, un intérêt supérieur devant lequel tous les autres intérêts doivent céder. Ayons donc constamment les yeux fixés sur l’Europe ; étudions-la sans illusions et sans découragement, en critiques et en patriotes ; n’oublions pas surtout que la patience et l’attention sont, par excellence, les vertus politiques.


ALBERT SOREL.