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an, y compris 2 millions provenant de l’exploitation de nos anciennes manufactures de tabac.

Si le moment n’est pas venu de porter un jugement définitif sur les dures exigences du vainqueur, nous avons le droit de dire que, malgré cet énorme déplacement de capitaux, l’Allemagne ne sera ni plus riche, ni plus prospère. Sans doute, l’empereur va disposer de moyens d’action irrésistibles : avec son armée d’une part et ses trésors de l’autre, il atteint l’apogée de la force, et il peut non-seulement couvrir l’Europe de ses soldats, comme Napoléon, mais s’approprier le rôle des hommes d’état anglais et fournir des subsides à ses alliés. Sachons reconnaître cette situation, quelque douloureuse qu’elle soit pour notre patriotisme ; seulement gardons-nous de l’exagérer, comme il arrive toujours à ceux qui se sont vu arracher subitement leurs plus chères affections. Ce gouvernement, auquel nous faisons un don gratuit de près de quatre milliards, ne se trouve même point en mesure d’accorder la plus petite réduction d’impôts, et ce n’est qu’à son corps défendant, après avoir stipulé des compensations[1], qu’il renonce à la taxe si impopulaire du sel ! Si l’on compare son budget avec le nôtre, les chiffres accusent une disproportion effrayante, puisque la France doit 20 milliards, — cinq fois plus que tous les états réunis de l’empire ; mais les chiffres n’ont ici qu’une signification relative, et personne n’oserait soutenir que l’Angleterre par exemple, qui est depuis, soixante-dix ans tout aussi endettée que la France d’aujourd’hui, eût à prendre ombrage des trésors accumulés à Berlin. Le baromètre de la puissance financière d’un pays, c’est le crédit. Or, au lendemain de la déclaration de guerre, la confédération de l’Allemagne du nord émettait un emprunt de 450 millions à 88, qui aboutit à un échec malgré les garanties offertes aux souscripteurs par un gouvernement qui n’avait point de dettes et qui disposait d’une armée sans rivale. Après les victoires de Wissembourg, de Reichshofen et de Sedan, la Prusse est obligée de demander à un marché étranger les ressources qu’elle ne trouve point chez elle, dans ce pays par excellence de la spéculation et du jeu ; encore doit-elle payer alors un intérêt supérieur à 5 pour 100. Après les défaites des armées de l’est et de l’ouest, après la capitulation de Paris, après la commune, après un traité de paix qui enlevait à la France près de deux millions d’habitans, des industries de premier ordre et ses meilleures forteresses, le gouvernement de la

  1. Ces compensations doivent être fournies par une augmentation de l’impôt sur le tabac, et par un nouvel impôt que l’on se propose d’établir sur les négociations de bourse.