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révision entendissent se prononcer pour une annexion à l’empire d’Allemagne, ou même pour une alliance intime qui aurait bientôt mis le gouvernement fédéral dans la dépendance du cabinet prussien. Certes il entre dans les calculs de l’Allemagne de pousser la Suisse à renforcer le lien fédéral et d’affaiblir les pouvoirs cantonaux, afin d’augmenter l’influence des grands cantons allemands et protestans au détriment des petits cantons français ou catholiques. Elle a un intérêt visible à étouffer la vie cantonale et à grossir les attributions du pouvoir central, afin d’être sûre, en mettant la main sur lui, de mettre la main sur la Suisse entière ; elle voudrait d’ailleurs s’en servir pour exécuter plus promptement le chemin du Saint-Gothard et les autres grandes entreprises qui doivent, suivant elle, mettre la Suisse dans la main de l’Allemagne et des capitaux allemands. Ce n’est pas une raison pour dire que les partisans de la révision constitutionnelle voulussent nuire à l’indépendance et à l’autonomie de la patrie helvétique. Beaucoup d’entre eux n’étaient animés au contraire que du désir de fortifier cette indépendance en donnant à leur pays des institutions qui missent le gouvernement fédéral en état d’opposer une plus grande résistance aux agressions de l’étranger. La réforme militaire, qui occupait le premier rang parmi les mesures révisionistes, n’avait d’autre but que de procurer à la Suisse une armée capable de la défendre. C’était le voisinage même de l’empire d’Allemagne et son ambition déjà menaçante qui faisaient sentir à bien des gens le besoin de concentrer les forces fédérales et de préparer des moyens de défense qui fussent en proportion avec le danger. Depuis la dernière guerre, la Suisse a perdu, comme tous les états neutres, les garanties de sécurité qu’elle trouvait dans l’équilibre européen ; il est donc naturel qu’elle cherche à remplacer ces garanties morales par d’autres garanties plus positives, et qu’elle fasse effort sur elle-même pour se mettre en état de suffire à sa propre défense. Beaucoup de Suisses peuvent penser ainsi sans être pour cela de mauvais patriotes, et sans vouloir livrer leur pays à la domination de l’Allemagne.

De leur côté, les conservateurs, ceux qui persistent à repousser la révision, ou qui ne veulent l’admettre qu’avec de grands ménagemens pour la souveraineté cantonale, ont fait preuve de prudence et de sagacité en s’opposant à des réformes hâtives ; mais il ne faut pas s’imaginer qu’ils forment un parti compacte. Lorsqu’on examine les élémens divers qui ont concouru au plébiscite de l’année dernière, on s’aperçoit que la majorité conservatrice n’est, comme la minorité elle-même, qu’une coalition passagère et probablement sans lendemain. Les auteurs de la révision ayant confondu dans un même vote les questions les plus différentes, le peuple suisse ne