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PHILIPPE.


courroucer, de me traiter comme une fille impudente, ou de me dire un mot et de me rendre ma raison.

Mme d’Hesy se débattait. — Laissez-moi, laissez-moi ! je n’ai rien à vous dire.

Ce fut à ce moment que Clotilde entra. En l’apercevant, Elsie se releva. — Oh ! cria-t-elle, celle-là me le dira ! — Et marchant à Clotilde: — Mademoiselle, pourquoi Philippe ressemble-t-il tant à mon père ?

Mlle d’Hesy devint d’une extrême pâleur, et, s’adressant à Mme d.’Hesy, lui dit faiblement; — Ah ! ma mère, vous m’avez trahie !

— Vous voyez bien ! fit Elsie.

Mme d’Hesy, aussi pâle que sa fille, mais puisant dans sa douleur une énergie suprême, s’avança gravement. — J.e ne t’ai pas trahie, Clotilde, dit-elle. — Puis, lui montrant Elsie : — Autant vaut maintenant qu’elle sache tout. Eh bien ! oui, mademoiselle, votre père, avant de quitter la France, avait séduit et perdu ma fille. Et moi, pour la sauver, mon mari étant mort en ce temps-là, j’ai pris pour moi, lui donnant un nom et une famille, un enfant qui ne naissait, par le crime de M. de Reynie, que pour la honte et l’abandon.

Elsie ne répondit pas. Elle s’affaissa, sur le point de défaillir.

Les trois femmes entendirent la voix de Philippe. Il demandait gaîment à miss Paget si elles se trouvaient au salon. Mme d’Hesy courut à Elsie. — Debout, debout ! lui dit-elle, c’est Philippe; — puis, regardant Clotilde, elle mit seulement un doigt sur ses lèvres pour lui recommander la force et le silence. Elles étaient toutes trois profondément remuées encore, mais s’efforçant de sourire, lorsque Philippe parut.

— A la bonne heure ! dit-il. Vous voilà ensemble. J’espère que vous parliez de moi.

— Oui, mon enfant, répondit Mme d’Hesy.

— J’aurai la parure, dit-il à Elsie; il était temps, on allait l’acheter. Imagine-toi, Clotilde, que c’est un diadème de perles. Tu vois cela d’ici, dans un bal, sur ses cheveux blonds. — Il regardait Elsie, mais il reporta ses yeux sur Clotilde. — Qu’as-tu ? Tu es souffrante ?

— Clotilde, déjà tout à l’heure, n’était point à son aise, répondit Mme d’Hesy, — et, s’adressant à Elsie : — Vous nous pardonnerez, mademoiselle; je crois que ma fille fera bien de rentrer.

— Oui, ajouta Philippe avec inquiétude, et je vais vous accompagner. Il faut que je soigne ma grande sœur. — Il sourit à Elsie en lui désignant Clotilde : — Toute jeune qu’elle est, c’est un peu ma mère.