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pas tenter pour savoir la vérité ? Déjà il n’était plus le même. Cette entrevue où il avait surpris Mme d’Hesy et Clotilde avec Elsie l’avait alarmé. Il voyait évidemment qu’un obstacle le séparait de son désir et de ses espérances, et il cherchait à le deviner. Depuis qu’il avait quitté la maison de Mlle de Reynie, il restait obstinément auprès de sa mère et de sa sœur. Elles étaient muettes et sombres, et il les observait avec défiance. Il n’osait les interroger encore, mais tout son chagrin grondait et s’irritait en lui. Il n’échangeait que de rares paroles et les épiait. Quand M. de Reynie, après avoir quitté sa fille, se présenta chez Mme d’Hesy, Philippe était là. Mme d’Hesy, toute tremblante, avait pu cependant détourner un instant l’attention de Philippe et répondre au domestique qu’elle ne recevrait personne. Elle et Clotilde se sentaient perdues d’avance, si M. de Reynie fût entré. Que lui auraient-elles dit en présence de Philippe ? Le péril n’était que différé, M. de Reynie reviendrait le lendemain. Dans les rares momens[sic] où le jeune homme les laissait seules, la mère et la fille se concertaient. Il fallait avant tout que M. de Reynie et Philippe ne se vissent pas ainsi, à l’improviste. Le père d’Elsie accueillerait en effet Philippe avec des promesses et de la joie, et alors, quand elles auraient toutes deux à s’opposer à ce mariage, que ne dirait point Philippe, que ne supposerait-il pas ?

Elles convinrent d’écrire à M. de Reynie. Mme d’Hesy lui demanderait un lieu, une heure où elle pût le rencontrer; là, elle lui dirait la vérité. Il n’était point douteux qu’il n’emmenât sa fille au plus vite. La catastrophe serait conjurée. Elle ne le serait que momentanément, hélas ! ni Mme d’Hesy ni Clotilde ne pouvaient se faire d’illusions à cet égard. Elles connaissaient trop Philippe pour ne pas prévoir le lendemain. Quand il saurait Elsie partie et perdue pour lui, c’est sur elles deux que sa colère tomberait. Elles se demandaient en frémissant quelles questions il leur adresserait alors et ce qu’elles pourraient y répondre. Et si ses soupçons s’éveillaient, si la comparaison qu’il ne manquerait pas de faire entre sa sécurité de la veille et son malheur désormais accompli, si leurs réticences, le désordre et les pleurs de Clotilde, ce nom de M. de Reynie qu’elle n’entendait plus sans frissonner, si mille indices qui s’accuseraient en réalités sinistres le mettaient sur le chemin de la vérité, auraient-elles donc, les infortunées, à l’y combattre ou à l’y suivre ?

La nuit se passa pour elles en ces perspectives funestes des malheurs plus ou moins grands qu’elles avaient à redouter. Dès le matin, Mme d’Hesy fut prête à sortir. Elle s’était décidée à aller trouver M. de Reynie ou à lui laisser, s’il n’était pas chez lui, un rendez-vous où elle l’attendrait. Au moment de partir, elle rencontra Philippe. Il venait d’apprendre la visite que M. de Reynie