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dépassé. Des caractères aussi faux, des situations aussi forcées, sont au-dessous de la critique ; à quoi bon les intercaler dans un ouvrage qui, débarrassé de ces fioritures plus qu’inutiles, perdrait du moins le caractère hybride également désagréable aux lecteurs frivoles et aux lecteurs sérieux ? On ne pense pas en Allemagne comme chez nous. M. Samarow a besoin de ce prétexte du roman pour déguiser la propagande d’idées prussiennes qu’il poursuit ; il voit qu’un romancier n’inspire pas de méfiance, que le roman pénètre à tous les rangs de la société, chez les gens même qui n’ouvriraient ni journaux ni brochures politiques, insoucians qu’ils sont de se former une opinion personnelle. Ces gens-là sont nombreux en Allemagne ; chacun ne s’y croit pas obligé comme ailleurs de pousser ou d’enrayer à sa manière le char de l’état, de discuter pour sa propre part les questions de liberté, de droit, de constitution. Dans ce pays, le plus avancé peut-être sous le rapport de la science et de la philosophie, on a encore une tendance féodale à tout remettre aux mains du maître, qui est naturellement le plus fort. Quant à considérer les questions politiques sous leurs différentes faces, ne demandez pas cela au peuple, ni même à une partie considérable de la bourgeoisie, qui s’en rapporte à la sagesse d’une seule gazette locale dûment muselée ; l’écrivain politique qui leur rappellerait en passant que l’empire qu’ils acclament n’est autre que l’empire détruit jadis au nom de la liberté de conscience risquerait de déplaire, et les mots sonores de développement historique, d’unité, de pangermanisme, seront toujours accueillis avec ravissement, quelque sens qu’on leur prête. M. Samarow l’a bien compris, et il a su accommoder au goût de ses convives un mélange d’illusions et de préjugés plus agréables à ceux qui en sont pénétrés que de bonnes vérités toutes crues. Tâchons de le suivre jusqu’au bout, mais en écartant une fois pour toutes les Balzer, les Stielow, les Rivero, les Wendenstein, les bergeries hanovriennes et les stylets viennois. Mieux vaut retourner aux personnages historiques, bien qu’ils ne soient pas toujours beaucoup plus sérieux au fond que les personnages de fantaisie, — évoquer par exemple la scène curieuse où Napoléon III, en tête-à-tête avec son confident Piétri, se réjouit d’avoir su attendre. L’empereur d’Autriche, après les premiers revers qui l’ont humilié, invoque son alliance au prix même de la Vénétie, le roi de Prusse accepte son entremise pour l’armistice ; il est devenu l’arbitre de l’Allemagne. Aurait-il obtenu davantage, si l’armée française se fût mise en campagne ? Les résultats atteints valent presque ceux d’une bataille gagnée, sans que l’on ait tiré un coup de canon ni dépensé un liard. Il faut que la presse présente les choses sous cet aspect à l’opinion publique, — et