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Didier, pape élu, peu généreux envers son concurrent trop pressé et surtout trop désappointé. C’est un débat aujourd’hui oublié, mais qui a beaucoup occupé les contemporains et même les érudits du dernier siècle. La France se montra favorable à I’archevêque de Lyon, dont Richard, abbé de Saint-Victor de Marseille, partageait le sentiment, contre Victor III, dont l’irascibilité fut plus tard et heureusement tempérée par le bon sens d’Urbain II[1].

D’autre part, il était difficile aux grégoriens de pénétrer de la Pouille jusqu’à Rome, pour l’élection ou du moins pour faire consacrer l’élu. Enfin, après une année entière d’incertitude et d’interrègne, les princes de Capoue et de Salerne, aidés par les Normands, ménagèrent une pointe hardie sur la ville de Rome et obtinrent l’élection de Didier[2], qui prit le nom de Victor III (24 mai 1086). À part l’incident, de l’archevêque de Lyon, qui fut une faiblesse ou un travers, le gouvernail de l’église était mis en bonnes mains, et la chrétienté s’en ressentit, car le nouveau pape confirma résolument les décrets de Grégoire VII, et l’espérance, un moment suspendue, revint au cœur de tous les catholiques grégoriens. Les réfugiés du Danemark avaient déjà reparu dans la Saxe et réchauffé l’insurrection. Hermann et Welf de Bavière, recrutant de nouveaux soldats, vinrent mettre le siège devant la grande place de Würtzbourg, que Frédéric de Hohenstaufen entreprit vainement de protéger. Henri accourut à son secours, livra bataille aux insurgés, et la perdit. La révolte reprit ses avantages. L’empereur en eut la preuve à la diète de Spire, convoquée de pacando imperio. Il était pourtant encore en pleine confiance, malgré la défaite de Bleichfeld, que lui firent oublier quelques succès, à la suite desquels l’évêque d’Halberstadt fut tué les armes à la main. C’est alors que Henri associa son fils Conrad à l’empire en le faisant élire et couronner roi des Romains à Aix-la-Chapelle (1087), et en lui déléguant spécialement la lieutenance de l’empire en Italie.

Mais à cette heure mourait Victor III au Mont-Cassin, cédant la place à Urbain II après quatorze mois de règne seulement. Urbain II,

  1. L’authenticité de la lettre de Hugues à Mathilde ne peut être récusée. Voyez le P. Lanbe, en ses Conciles, X, 415, et Pertz, Monum. Germ. hist., VIII, p. 288-502. Saint-Marc, Hist. d’Italie, en a donné la traduction exacte, t. IV, p. 832 et suiv., et fourni une discussion approfondie à ce sujet, t. III, p. 553-89, où les appréciations impartiales des bénédictins, dans l’Hist. littéraire de la France, et de Fleury, dans son Histoire ecclésiastique, sont rapportées et discutées. On dirait que le docte Hefele a voulu, dans son Histoire des conciles, glisser sur cet incident, qui, si Victor III eût vécu plus longtemps, aurait pu faire de l’archevêque Hugues un autre cardinal Bennon. Quant à la sentence du concile de Bénévent, le texte en est perdu. Nous n’en avons que la substance dans les monumens contemporains (voyez Saint-Marc, t. III, p. 553 et 575) ; mais la certitude en est indubitable.
  2. Voyez les Vitæ pontificum de Wattorich, t. Ier, p. 547 et. suiv.