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mouvement de la première croisade, dont il vint en personne animer l’enthousiasme à Clermont. Tournant l’activité féodale vers la conquête de Jérusalem et les fortunes de l’Orient, il paralysa dans l’Occident l’empereur Henri IV, dont il détacha les capitaines les plus illustres, se rendit maître de l’opinion générale, captiva l’imagination des peuples, éleva plus haut que jamais l’action de la papauté sur les consciences, et couvrit de confusion les adversaires de Grégoire VII en face de l’indescriptible entraînement de la guerre sainte. C’est lui qui a terrassé l’empereur Henri IV ; il a vengé Grégoire VII expirant à Salerne, et il n’a pour ainsi dire laissé à son successeur Pascal II que le soin d’achever impitoyablement son adversaire en lui refusant toute merci. Il n’a été donné peut-être à aucun pape de montrer au monde combien il y avait de ressources dans le sentiment religieux au milieu des grandes crises de l’humanité. Urbain II a été l’agent décisif de la réforme grégorienne ; élevant la puissance papale presque au niveau de celle de Dieu, il absolvait les morts tout comme les vivans, et disposait de l’autre monde comme de celui-ci. Passant par Maguelonne, il accorda la remise des fautes aux habitans actuels ainsi qu’aux trépassés de l’endroit : omnibus sepultis et sepeliendis[1].

Plus politique que Victor III, Urbain II rallia les dissidens en France comme ailleurs[2], et ne mit aucune borne à la réconciliation des esprits, gardant son inflexibilité pour la grande victime qu’il fallait immoler. Bennon l’appelle plaisamment Turbanus ; c’est bien mieux à Bennon que le sobriquet convient, incapable et brouillon, quoique ne méritant pas les incroyables injures dont l’accable Baronius[3]. La base d’opération d’Urbain II, comme de Grégoire VII, a été l’appui des Normands et l’alliance de la comtesse Mathilde de Toscane. Si les deux papes ont obtenu de celle-ci un concours plus actif que des rusés Normands, l’assistance de ces derniers n’en a pas moins été très profitable au saint-siège, et si utile même qu’il est fort douteux que les papes se fussent soutenus contre le ressentiment de l’empereur franconien sans l’établissement des Normands en Italie. Il y eut seulement cette différence entre la coopération de ceux-ci et la coopération de la comtesse de Toscane, que les Normands firent leurs affaires et gagnèrent un royaume en prêtant secours aux papes, tandis que l’inconsistante et dévote Mathilde y a

  1. Voyez Labbe, Biblioth. nova, I, p. 799, et l’Art de vérifier les dates, t. Ier.
  2. Voyez une deuxième lettre de Hugues de Lyon à la comtesse Mathilde, dans Saint-Marc, t. IV, p. 838, et t. III, p. 589. La conduite d’Urbain II envers Hugues de Lyon prouve que ce dernier n’avait pas tous les torts. Voyez Saint-Marc, p. 579 et 581.
  3. Voyez Baronius, sur l’an 1048, n° 1 et V ; sur l’an 1053, n° IX ; sur l’an 1055, n° XXVIII ; sur l’an 1061, n° XXXII ; sur l’an 1073, n° XIV et XXII ; sur l’an 1076, n° XXVII ; sur l’an 1077, n° XXII ; sur l’an 1078, n° XII et XIII ; sur l’an 1079, n° IV ; sur l’an 1084, n° IV ; sur l’an 1098, n° XI et XIII. Je cite toujours l’édition de Theiner.