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forcer le fils à souiller la couche conjugale de son père, et que telle était la cause de la rébellion. Cette détestable invention fut présentée à la crédulité publique comme la justification pour le fils d’avoir violé les lois de la nature envers le père. On la trouve répétée par les moines chroniqueurs de l’époque[1], et Baronius la reproduisait au XVIe siècle à l’usage de ses pieux lecteurs. L’archevêque de Milan couronna Conrad roi d’Italie aux applaudissemens de la foule, en présence des Welfs et de Mathilde[2], et la justa causa de la révolte, comme l’appelle Baronius, fut approuvée par Urbain II. Il faut se reporter à l’état de civilisation du XIe siècle, pour expliquer de pareils événemens. Henri fut atterré de la révolte de son fils, à qui bientôt l’on fit épouser la fille de Roger, roi normand de Sicile, ce qui unissait la péninsule entière dans une alliance étroite contre l’empereur. Sigebert de Gembloux, sur l’an 1093, a montré les funestes conséquences de la révolte de Conrad pour les affaires de Henri IV en Italie.

Une autre défection vint bientôt frapper le malheureux empereur et achever de le perdre moralement en Italie, celle de sa seconde épouse Adélaïde. Le scandale de cette rupture fut encore imputé aux intrigues de la comtesse Mathilde. Les détails de l’histoire de l’impératrice Adélaïde sont fort obscurs, les chroniqueurs l’appellent même de noms différens, tantôt Adélaïde, tantôt Praxède, tantôt Agnès. Elle était fille d’un prince de Russie, et avait épousé d’abord Henri le Long, margrave de Brandebourg, de la maison de Stade, dont elle demeura veuve en 1087. L’impératrice Berthe étant morte en 1087 ou 1088, Henri, après un an, peut-être deux, de viduité, épousa la veuve encore belle, paraît-il, de Henri de Brandebourg, et la fit couronner impératrice à Cologne en 1089[3], Elle ne vécut pas longtemps de bonne intelligence avec Henri IV, qui dut regretter auprès d’elle la douce et fidèle affection de Berthe de Suze. Traitée assez durement par Henri bien avant la défection de Conrad, elle avait pris refuge chez la comtesse Mathilde à Vérone. De

  1. « Dicitur etiam in talem incidisse dementiam ut prædictum filium suum hortaretur, quatinus ad eam (reginam) ingrederetur. Quo recusante patris polluere stratum, eum adhortando rex non suum sed peregrini filium esse affirmavit, etc. » Annales de Disibodenberg, dans Pertz, XVII, p. 14. Cf. les Annales de Würtzbourg, ibid., II, sur l’an 1097, et Struve, Hist. imp. German., I, p. 336. Mansi répète la même calomnie en y ajoutant quelque chose avec d’autres annalistes : « Henricum regem qui uxorem suam legitimam filio aliisque extraneis violandam obtulerat iterum excommunicavit (Urbanus), etc. » Concil. collect., XX, p. 642.
  2. Baronius, Annales, sub A. 1093, p. 605 et 606 de l’édit. de Theiner. Mascov, p. 114, a montré l’impossibilité matérielle du fait calomnieux relatif à Conrad.
  3. Voyez les textes divers réunis par Mascov, p. 108 et 114, et l’Art de vérifier les dates, t. II, p. 19, et t. III, p. 513.