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fondations monastiques de l’époque franque avec le mouvement analogue de notre époque : les caractères en sont tout différens. Les premières avaient défriché le sol et converti les âmes au christianisme ; celles du XIe siècle luttent contre les évêques et sont la milice de la puissance pontificale. L’influence du schisme henricien est pour quelque chose dans cette direction nouvelle ; les calamités de l’ordre social y sont pour beaucoup plus encore. Parmi les phénomènes de ce temps, dit Berthold de Constance, il faut compter l’entraînement qui pousse les êtres, de tout sexe vers le cloître, comme un refuge des mortels contre tous les ennuis de la vie. Le nombre en est si considérable qu’il a fallu agrandir tous les monastères, Saint-Blaise, Hirsauge et Schaffouse[1]. En dehors de la féodalité militante, le génie de l’homme ne respirait plus que sous la bure monacale, et malheureusement, pêle-mêle avec la vertu, toutes les passions humaines prenaient place chez les moines. Rome avait déchaîné ces passions contre le prince qui depuis tant d’années tenait tête au chef de la catholicité. Des bandes innombrables allaient s’abattre aux croisades, continuant dans l’Orient ; sous la bannière de la croix, le mouvement de migration et d’invasion que l’établissement de l’ordre féodal avait momentanément suspendu dans l’Occident, et la domination de l’Occident passait de la grossièreté tudesque à l’ascétisme des couvens et à la subtilité scolastique. Les moines étaient les distributeurs des réputations, les propagateurs des idées, les organes de l’opinion. Le couvent était le foyer de l’activité humaine, et cet instrument puissant consomma la ruine de l’empereur Henri IV en déterminant le triomphe de la papauté. Les successeurs de Grégoire VII eurent autant de part que lui-même à ce triomphe en s’inspirant de son génie. Sur vingt conciles réunis sous Grégoire VII, dit M. Mignet, il y en avait eu cinq favorables à la cause de l’empereur. Sur trente-deux réunis sous ses quatre première successeurs, il n’y en eut pas un seul qui osât soutenir le parti de la puissance séculière. Les synodes dissidens, comme ceux de Mayence, ne font qu’une ombre passagère à ce tableau d’unanimité.

Urbain II est mort le 29 juillet 1099, emportant la certitude du succès définitif. L’an d’après est mort Wibert l’antipape, qu’Henri tenta vainement de faire remplacer. Le temps n’était plus où l’empire

  1. « Ad quæ monasteria mirabilis multitudo nobilium et prudentium virorum hac tempestate in brevi confugit, et depositis armis, evangelicam perfectionem, sub regulari disciplina, exequi proposuit : tanto inquam numero, ut ipsa monasteriorum ædificia necessario ampliarint, eo quod non aliter in eis locum commanendi haberent. »