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traité fatal qui sépara de la France la Lorraine allemande et l’Alsace, en prenant la race et la langue pour base des divisions politiques, et dont nous devions encore après dix siècles subir la funeste influence au nom de ce principe des nationalités que nous regardons comme une nouvelle formule du droit des gens, et qui n’est qu’une réminiscence de la diplomatie carlovingienne.

Il avait suffi des prédilections maternelles de Judith pour allumer une guerre qui arma les enfans contre leur père, les frères contre les frères, et couvrit pendant vingt ans la Gaule de sang et de ruines. La royauté était sortie très affaiblie de cette longue épreuve, et la seconde femme de Charles le Chauve, Richilde[1], lui porta une nouvelle atteinte en provoquant à la mort de ce prince une ligue entre son frère Boson, qui venait d’être expulsé de son duché de Lombardie, et la noblesse franque contre Louis-le Bègue, l’héritier de la couronne. Voulait-elle donner cette couronne à Boson ou seulement obtenir pour lui, pour elle-même et pour la noblesse des garanties et des concessions ? Les documens contemporains sont muets à cet égard ; mais, quels qu’aient été ses motifs, les subterfuges misérables et vulgaires qu’elle mit en jeu prouvent à quel degré d’abaissement était tombée dès la troisième génération cette monarchie carlovingienne que le fils de Pépin avait élevée si haut. Elle s’empara du testament de son mari, le mit en lieu sûr à l’abri des recherches, cacha le sceptre et la couronne, car l’exercice de la souveraineté était attaché à la transmission matérielle de ces attributs, et fit savoir à Louis le Bègue qu’elle ne les lui rendrait, ainsi que le testament, que lorsqu’il aurait fait droit à ses demandes. Louis, qui ne pouvait recevoir l’investiture royale faute de sceptre et de couronne, fut forcé de céder. Il ajouta de nombreux privilèges à ceux que son père avait déjà octroyés à l’aristocratie. franque pour obtenir son concours dans les entreprises aventureuses où le poussait son ambition, et par ces concessions nouvelles il fortifia la féodalité naissante, et acheva de désarmer la royauté. On peut donc attribuer à Judith et à Richilde une large part de responsabilité dans les événemens qui préparèrent la chute des Carlovingiens, et, si l’on s’en rapporte à des rumeurs populaires dont on entend l’écho dans quelques chroniques du moyen âge, les deux dernières reines de la dynastie auraient été plus fatales encore aux descendans de Charlemagne.

Le roi Lothaire avait épousé en 966 Emma, fille de Lothaire II, roi d’Italie, et d’Adélaïde de Bourgogne. Fidèle à ses devoirs d’épouse pendant les premières années de son mariage, Emma ne

  1. Nous ferons remarquer en passant que, dans un certain nombre de livres modernes, la seconde femme de Charles le Chauve est désignée par erreur sous le nom d’Adélaïde.