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guident seuls Philippe Ier et Philippe-Auguste lorsqu’ils se séparent de Berthe et d’Ingeburge ; mais ce n’est point assez pour eux de rompre des nœuds qui leur pèsent en prenant pour complices des conciles complaisans, il faut encore qu’ils punissent leurs femmes du crime de leur avoir déplu. Philippe-Auguste fait enfermer Ingeburge dans le château d’Etampes, et Philippe Ier Berthe dans le château de Montreuil-sur-Mer, où l’on montre encore aujourd’hui dans la citadelle la tour humide et sombre qui lui servit de prison, la tour de la reine Berthe, Le sort de ces tristes victimes excita dans le royaume une pitié profonde. Les papes les vengèrent par l’excommunication, le seul châtiment qui pût alors atteindre les rois, et les successeurs de Philippe-Auguste s’arrêtèrent devant la réprobation de la conscience publique et les anathèmes du saint-siège. Ils se rappelaient d’ailleurs que les répudiations, lors même qu’elles étaient justifiées par de graves motifs, pouvaient entraîner pour le royaume des conséquences désastreuses. Éléonore d’Aquitaine avait apporté au domaine royal le Poitou, la Saintonge, la Gascogne et la Guyenne ; Louis VII, en se séparant, lui rendit ces belles provinces, et elle les donna à l’Angleterre par son mariage avec Henri Plantagenet. A dater de cette époque, Louis XII et Henri IV furent les seuls qui divorcèrent sous prétexte que Jeanne et Marguerite ne pouvaient leur donner d’héritiers ; mais, tout en gardant leurs femmes, les derniers Valois et les Bourbons se dédommagèrent largement de la contrainte que leur imposaient l’église et la raison d’état, car le mépris des devoirs de la famille s’était développé avec le pouvoir absolu, et celles de nos reines qui méritaient le plus d’être heureuses furent précisément celles qui eurent le plus à souffrir du despotisme de leurs époux.

Louis XI fit sentir sa tyrannie à sa seconde femme, Charlotte de Savoie, aussi durement qu’aux derniers de ses sujets et la sacrifia sans pitié à la Gigogne et à la Passefilon. Tandis qu’il faisait compter d’une seule fois quatre-vingt-dix mille écus d’or à son médecin Coytier pour l’avoir guéri de la fièvre, il donnait à peine de quoi vivre à la mère de Charles VIII et d’Anne de Beaujeu, et la tenait enfermée comme une criminelle dans le château d’Amboise, « menant fort petit train, dit Brantôme, et fort mal habillée. Il la laissait là avec sa petite cour, à faire ses prières, et lui s’allait promener et se donnait du bon temps. » Mais Amboise lui semblait trop près de Plessis-les-Tours ; il relégua Charlotte au fond du Dauphiné, et pour lui flaire sentir plus rudement encore son aversion il défendit à ses enfans de l’aller voir, sous prétexte qu’elle était plus bourguignonne, que française. La seule femme qui, dans l’entourage dissolu et féroce de Charles IX, ait mérité le nom de femme, Elisabeth d’Autriche, la Sainte, comme l’appelaient ses contemporains,