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à la personne du prince, et ce fut là sous l’ancien régime, l’une des causes qui ont jeté si souvent la politique royale hors de ses voies traditionnelles et régulières. Les individualités les plus diverses et les plus opposées, les hommes supérieurs et les plus misérables intrigans, les grands seigneurs et les barbiers, les confesseurs et les valets, ont pu tour à tour prendre une part de la souveraineté que le droit monarchique plaçait tout entière entre les mains des rois, et que la première cour de justice du royaume, la cour gardienne des lois, l’auguste parlement de Paris lui-même, ne se fit point faute d’usurper en profitant, comme les favoris ou les reines, de l’enfance ou de la faiblesse des rois, des rivalités des castes, de la guerre étrangère pu de la guerre civile.

C’est ainsi que, dans la monarchie du droit divin, une anarchie profonde se cachait sous les dehors solennels et unitaires du pouvoir absolu. L’Angleterre avait sa grande charte, l’Espagne ses fueros, l’empire sa bulle d’or ; mais la France n’avait pour toute garantie que le serment du sacre. Les rois ne s’y engageaient envers leurs sujets que par les vagues formules de l’équité, et ils étaient toujours libres de violer les lois ou de les laisser violer par le premier venu, parce que les lois, suivant la doctrine de saint Thomas, qui fut aussi celle de la vieille royauté, ne sont point obligatoires pour ceux qui les ont faites. Ce fut là on peut le dire sans crainte de fausser l’histoire, l’une des principales causes des agitations et des malheurs du passé ; mais nous n’avons point à nous étonner, car, si nous voulons juger avec impartialité les événemens qui depuis 1789 se sont succédé chez nous avec une rapidité vertigineuse, nous serons forcés de reconnaître que nous n’avons pas plus que nos aïeux le respect des lois et du droit. Ce ne sont plus les reines, les maîtresses, les favoris où les confesseurs qui usurpent un pouvoir qui ne leur appartient pas ; ce sont les tribuns, les courtisans de la foule, les héritiers de césar, les récidivistes des gouvernemens provisoires, les amis du peuple, comme Marat. La souveraineté s’est déplacée ; elle n’est plus dans un homme, elle est dans tous, et dans ces conditions nouvelles, la France ne peut espérer de meilleurs jours que si le respect des lois s’impose à tous. La démocratie, sans ce respect, ne sera que désordre et violence, et nous n’aurons fait dix révolutions en quatre-vingts ans que pour remplacer les intrigues princières et les cabales de cour par les sociétés secrètes, et les coups de main de l’émeute, la légitimité du droit national par les surprises et la corruption du suffrage universel, le droit divin par la légende jacobine, et la Saint-Barthélemy par la commune ?


CHARLES LOUANDRE.