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gagé entre la république incohérente et révolutionnaire, représentée par M. Barodet, et la république régulière, légale, possible, que M. Thiers essaie de faire vivre depuis deux ans au milieu de toutes les difficultés, que M. le ministre des affaires étrangères acceptait de représenter dans la lutte électorale. La république n’était donc nullement mise en doute par la candidature de M. de Rémusat. Elle était si peu en question que M. le ministre des affaires étrangères s’est trouvé appuyé, non-seulement par les esprits libéraux et conservateurs accoutumés à voir dans son nom une garantie, mais par les plus vieux républicains, par M. Littré comme par M. Vacherot, par M. Carnot comme par M. Henri Martin, et même par l’impétueux colonel Langlois. M. Grévy témoignait les sympathies les plus décidées pour M. de Rémusat. Tout ce qui compte dans le parti républicain, sans parler de ce qui ne compte pas, s’est prononcé et a combattu pour cette candidature, qui avait le mérite de désintéresser les partis, de les rallier par ce qu’ils ont de commun en évitant ce qui aurait pu les diviser. Eh bien ! non, ce n’était pas assez, les radicaux n’ont pas moins persisté à élever candidature contre candidature, à combattre M. de Rémusat avec M. Barodet. Il y a mieux, du haut de leur infaillibilité ils ont traité les vieux républicains en schismatiques, en excommuniés, appelant M. Langlois « vieille barbe, » malmenant fort M. Littré et M. Carnot, et les menaçant tous du jugement du suffrage universel au jour de la grande élection. Que fallait-il donc ? M. de Rémusat était toujours l’équivoque à leurs yeux. Sans doute M. le ministre des affaires étrangères avait fait une profession de foi en faveur de la république, sans doute il s’était prononcé pour « l’intégrité du suffrage universel ; » mais à ce programme ils avaient à opposer, eux, la « vraie république, » la « vraie et absolue intégrité » du suffrage universel. En d’autres termes, ils étaient seuls les purs et les orthodoxes, et de fait le scrutin a fini par leur donner le nombre à défaut de la raison.

Ce qu’il y a d’étrange, c’est que, par un euphémisme qui ne peut tromper personne, les radicaux n’ont pas moins affecté et ils affectent encore de prétendre qu’ils n’ont pas eu la pensée de faire une manifestation contre le gouvernement, qu’ils ont voulu au contraire donner de la force à M. Thiers contre ses adversaires de la droite. Certes, on n’en peut pas douter, les radicaux sont les meilleurs amis de M. Thiers, ils lui viennent en aide tous les jours, ils le soutiennent en suscitant à son ministre des affaires étrangères un concurrent obscur, en combattant toutes ses idées sur la loi électorale, sur la nécessité d’une chambre haute, en traitant avec dédain ses procédés politiques, en lui créant des embarras dans son action extérieure. Ébranler le gouvernement, non, à coup sûr, ils n’ont pas eu cette pensée malhonnête, ils ont voulu lui donner tout au plus un avertissement fraternel, à la façon radicale. Que désirent-ils ?