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l’est. Pour l’ennemi, c’est le gage de la victoire définitive à saisir sur les remparts de la cité souveraine. Pour les armées levées à la hâte en province, c’est la grande ville, tête et cœur de la France, à délivrer. Pour tous, pour l’Europe elle-même, spectatrice étonnée et troublée de ce puissant conflit, c’est un événement unique par la durée et le caractère de la lutte, par la nouveauté de ce spectacle d’une population de 2 millions d’âmes réduite à vivre en armes au milieu de ses monumens, de ses musées et de ses bibliothèques, à se disputer aux passions qui l’agitent, aux souffrances qui l’éprouvent, à l’ennemi qui la presse, qui commence par l’affamer pour finir par la bombarder.

Que Paris pût être appelé à jouer un rôle décisif dans une guerre avec l’Allemagne, ce n’était point assurément un fait nouveau ni imprévu. Ce rôle est en quelque sorte le résultat nécessaire de l’histoire, de la situation stratégique de la grande ville placée au confluent des vallées par où se sont précipitées toutes les invasions, de ces traditions politiques de centralisation qui, en mettant le sort de la France entre les mains du maître de la capitale, ont fait de Paris l’éternelle tentation d’un ennemi victorieux. C’est là pour ainsi dire la première et invariable préoccupation de tous ceux qui ont songé à organiser la défense française. Vauban déjà de son temps rêvait de fortifier Paris, d’en faire le réduit de la vaste et multiple citadelle qu’il élevait aux frontières. Napoléon, refoulé et débordé de toutes parts en 1814, en était à regretter amèrement les quelques jours de répit que Paris, mieux fortifié, aurait pu lui donner et qu’il ne lui donnait pas, faute de moyens suffisans de résistance. Ce qui avait été le rêve de Vauban, le regret de Napoléon, le gouvernement de 1830 en faisait une réalité en élevant ces fortifications qui semblaient changer toutes les conditions d’une guerre d’invasion. Désormais on se croyait garanti, et assurément on était au moins à l’abri d’une surprise. Avec ses bastions et ses forts, avec un armement proportionné à l’extension et à la puissance d’une place de guerre ainsi faite, avec des approvisionnemens tels qu’on pouvait les avoir, avec des forces de secours étendant et complétant la défense, Paris était en état de défier toute insulte ; il pouvait tenir au moins deux mois, on n’allait guère au-delà et laisser à la France le temps de se reconnaître. Il restait dans tous les cas l’inexpugnable base d’opérations, le refuge assuré de nos armées, qui, même éprouvées par le malheur, pouvaient se replier sous ses murs pour se reconstituer et reprendre la campagne en maintenant les communications avec la France.

C’était là le rôle militaire réservé à Paris dans la pensée de ceux qui le cuirassaient de bastions et qui en définitive ne voyaient