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prévoir ni la durée, ni le caractère, ni le dénoûment. On s’exposait ainsi à être au premier jour des prisonniers, détenteurs inutiles d’une autorité sans communication avec la France, à laisser le pays tout entier sans direction, désorganisé, à la merci des agitations et des paniques. Sans doute, rien ne semble plus clair ; mais, d’un autre côté, on était un gouvernement improvisé par Paris et pour Paris. On disait dans des proclamations, et on le croyait, que la lutte allait se concentrer à Paris, que là où étaient le combat et le danger, là devait être le pouvoir. On voulait partager la fortune de cette ville qu’on représentait, qui semblait être en ce moment le dernier refuge de la résistance nationale, où le départ du gouvernement serait considéré comme une désertion décourageante. Notez qu’il y avait du vrai, que, si en restant à Paris on compromettait l’intérêt de la province, en partant, en abandonnant Paris à lui-même, sous un simple gouverneur militaire, on rendait peut-être impossible ou du moins on abrégeait d’avance un siège qui était pourtant encore le suprême espoir. On le sentait, et alors pour tout concilier, en restant à Paris, on envoyait en province deux médiocres vieillards sans prestige, sauf à expédier bientôt, pour compléter le triumvirat, un jeune agitateur sans expérience et sans prévoyance.

Autre question, la convocation d’une assemblée. C’était évidemment la plus pressante nécessité d’appeler le pays à prendre la direction de ses destinées dans une si tragique aventure. On le devait pour rentrer dans le droit, par un sentiment d’honneur et de prévoyance, et de plus il y avait un intérêt diplomatique, national, de premier ordre. D’un instant à l’autre, on pouvait avoir des démarches à tenter auprès de l’Europe, peut-être des négociations à ouvrir : quel moyen avait-on d’engager une action diplomatique à demi sérieuse ? On n’était qu’un pouvoir dénué de toute sanction légale, plénipotentiaire sans titre reconnu, que les cabinets étrangers pouvaient écouter avec les sympathies dues aux malheurs de la France, et dont ils pouvaient aussi décliner les ouvertures, éluder les propositions. Lord Granville le disait peu après à M. Thiers : « Rien encore n’a donné au gouvernement établi à Paris le 4 septembre un caractère régulier… Pourquoi tant différer les élections prochaines ? » On n’avait pas encore atteint le 15 septembre. — D’un autre côté cependant ne pouvait-on pas avoir quelques doutes sur la possibilité, sur l’opportunité de ces élections nécessairement faites au milieu d’une certaine confusion, dans un pays où l’invasion s’étendait de jour en jour ? Ces agitations, qui allaient se donner rendez-vous autour du scrutin, ne risquaient-elles pas de paralyser la résistance, de devenir une diversion favorable à l’ennemi,