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n’avaient pas encore toutes les forces qu’ils ont eues depuis. Ils arrivaient devant Paris avec 122,000 hommes d’infanterie, 24,000 cavaliers et 632 bouches à feu. Une moitié de cette armée occupait le nord de Paris ; c’était donc avec ce qui restait qu’il fallait risquer ce coup d’audace qu’on a pu croire possible, brusquer l’assaut du front sud ! Si on réussissait, même au prix de torrens de sang, rien de mieux, la question était tranchée ; si on échouait, et il y avait certes beaucoup de chances contraires, l’effet pouvait être immense et changer la face de la guerre en réveillant la confiance dans le pays tout entier comme à Paris, en permettant peut-être à l’Europe d’offrir sa médiation, éventualité que la Prusse tenait à écarter par-dessus tout.

La vérité est que les Allemands ne se préoccupaient pas extrêmement de jouer cette dangereuse partie, et ce combat même de Châtillon qu’ils se voyaient obligés de soutenir dans leur mouvement sur Versailles leur prouvait que, si Paris n’avait pas une armée des plus complètes, des plus aguerries, il avait encore des forces régulières en état de combattre. Peu de jours après, M. de Chaudordy, délégué des affaires étrangères à Tours, écrivait à M. Jules Favre : « Il paraît certain que les Prussiens ont beaucoup souffert devant Issy (combat de Châtillon), qu’ils ne s’attendaient pas à la défense de Paris, et qu’ils en sont troublés… » Je ne crois pas que les Prussiens fussent bien troublés, puisque le 19 septembre un peu après midi le Ve corps reprenait sa marche sur Versailles, laissant les Bavarois seuls en face de nous. Ils comprenaient du moins qu’ils ne devaient rien risquer, et la meilleure preuve qu’ils n’avaient pas la pensée de se jeter à notre poursuite jusque sous le rempart, c’est qu’ils ne nous remplaçaient pas même immédiatement à Châtillon : ils laissaient venir la nuit ; mais à Paris on ne savait pas tout cela. L’incertitude et l’obscurité grossissaient les événemens. On voyait déjà l’ennemi aux portes, et la première conséquence de cet ébranlement moral aussi bien que de l’incident militaire de la journée était l’abandon de toutes les défenses extérieures. La chute de Châtillon déterminait l’évacuation de Meudon, de Brimborion, de Montretout, même de Gennevilliers. Toutes les troupes étaient immédiatement ramenées dans Paris. La division de Maud’huy, qui n’avait été nullement entamée dans ses positions de Villejuif, était rappelée en ville comme les autres. Du même coup, on faisait sauter les ponts de Billancourt, de Sèvres, de Saint-Cloud, d’Asnières, de Clichy, de Saint-Ouen. Le Mont-Valérien restait notre seule sentinelle extérieure, et la dernière communication laissée intacte entre les deux rives de la Seine était le pont de Neuilly.

Jusque-là rien n’est plus vrai, on n’avait pas cru à la