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vivres. M. de Bismarck le disait lestement à M. Jules Favre dans l’entrevue de Ferrières. « Je ne vous dis pas que nous livrions un assaut à Paris, il nous sera peut-être plus commode de l’affamer en nous répandant dans vos provinces ;… nous empêcherons les arrivages avec 80,000 hommes de cavalerie, et nous sommes résignés à rester chez vous tout le temps nécessaire… » Qu’en résulterait-il ? M. de Bismarck lui-même s’en effrayait d’avance. Dès les premières semaines, par des circulaires ou par des mémoires, il s’efforçait de décliner aux yeux de l’Europe la responsabilité des affreux malheurs qui pourraient arriver dans Paris, à la fois affamé et bombardé. Il disait au roi : « Je m’attends pour ma part à voir un dénoûment qui dépassera en fureurs et en désastres tout ce que les historiens ont raconté de la prise de Jérusalem. Plusieurs centaines de mille habitans peuvent périr dans les horreurs de la faim ou dans un vaste incendie. » On ne pouvait pas dire du moins qu’on ignorait ce qui pouvait arriver ; mais la résolution était prise, et le combat de Châtillon suspendait à peine pour quelques heures l’exécution d’un plan qui réussissait absolument comme on l’avait prévu, peut-être même encore plus qu’on ne l’avait prévu.

Le 19 septembre au soir en effet, les Allemands avaient accompli avec une rigueur méthodique, au nord comme au sud de Paris, tous les mouvemens fixés dès le 15. L’armée de la Meuse, opérant au nord, avait eu à peine quelques petits engagemens avec des forces françaises à Pierrefitte, à Montmagny, et avait pris ses positions. Le IVe corps poussait jusque vers la Seine au-dessous d’Argenteuil, tandis que la 5e et la 6e division de cavalerie, un peu retardées, passaient bientôt le fleuve pour aller se relier à la IIIe armée dans la direction de Versailles. A la gauche du IVe corps, au-dessus de Saint-Denis, la garde, ayant son quartier-général à Gonesse, occupait la ligne de Garges, Blanc-Mesnil, Aulnay-lès-Bondy, et elle se couvrait aussitôt en dérivant le canal de l’Ourcq, dont on utilisait les eaux pour former une inondation entre Dugny et Sevran. Le XIIe corps, inclinant vers l’est et la Marne, s’établissait sur la ligne de Sevran, Livry, Montfermeil, Chelles. La division wurtembergeoise, venant à la suite, devait rester d’abord entre la Marne et la Seine. Cette occupation du nord, allant de l’ouest à l’est, s’était faite, à vrai dire, sans difficultés sérieuses, sans autres accidens que quelques escarmouches d’éclaireurs ou quelques canonnades de nos forts, destinées à tenir en respect les partis allemands trop avancés en montrant à l’ennemi jusqu’où il pouvait aller. Pendant ce temps, la IIIe armée, passant la Seine, décrivait de son côté son mouvement vers le sud. Le Ve corps, qui tenait la tête et qui se trouvait le 19 au matin à Bièvre, s’était heurté contre nos