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il fit établir trois fontaines, l’une sur le nouveau marché, l’autre au cimetière des Innocens, qu’on venait d’ouvrir ; elles étaient alimentées par l’eau des Prés-Saint-Gervais ; la troisième provenait de la source de Belleville. Le nom que le peuple lui donna, et qui subsiste encore, prouve combien l’eau, chargée de sels calcaires, était aigre et rude, et combien peu elle prenait le savon, ainsi que disent les ménagères ; on l’appela Maubuée, la mauvaise lessive. Par le fait, Philippe-Auguste n’avait pas seulement rendu un grand service aux Parisiens, il avait exproprié les moines « pour cause d’utilité publique, » et avait déclaré que la distribution des eaux était de privilège royal. Il tuait un abus, mais pour en faire naître un autre qui aura parfois de graves conséquences, contre lequel on réagira souvent en vain, et qui ne prendra fin qu’aux premières heures de la révolution. Cet abus est celui des concessions courtoises, dont le premier exemple est donné en 1265 par Louis IX, qui accorde une prise d’eau au couvent des Filles-Dieu ; c’était diminuer d’autant la ration, déjà fort restreinte, du public. La mode s’y mit ; il n’y eut pas de maisons religieuses, pas de grands seigneurs, qui n’obtinssent des concessions pour leur usage exclusif ; le mal devint tel que les fontaines tarirent et que plusieurs quartiers furent abandonnés parce que l’on y mourait littéralement de soif. Il fallut porter remède à cet état de choses, et un édit de Charles VI, en date du 9 octobre 1392, révoqua toutes les concessions privées, excepté celles dont jouissaient les logis du roi et des princes du sang. Il est un considérant de l’ordonnance royale qu’il faut citer, il peint l’époque : « car de tant comme nostre bonne ville de Paris sera mieulx pueplée et habitée de plus de gens, et que nostre dict pueple sera mieulx pourveu de ce qui est nécessaire pour leur sustentacion, la renommée d’icelle sera plus grant, laquelle renommée redonde à l’augmentation de nostre gloire et exaltation de nostre hautesse et seigneurie. » C’était le roi alors qui entretenait les réservoirs, les aqueducs et les fontaines : les municipalités ne sont point encore intervenues ; leur rôle va commencer.

Pendant l’exécrable querelle des Bourguignons et des d’Armagnac, pendant la longue guerre que nous eûmes à supporter contre les Anglais implantés sur notre sol, on vécut au jour le jour, et l’on ne pensa guère à conserver en bon état les conduites d’eau qui alimentaient les fontaines. L’aqueduc de Belleville s’écroulait ; le prévôt des marchands le fit réparer sur une longueur de 96 toises (187 mètres). Pour célébrer cet acte de bonne administration municipale, on grava sur marbre une inscription que l’on peut lire encore au regard « de la Lenterne ; » elle est composée de vingt vers qui riment assez bien entre eux, donne la date précise, les