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promis de l’eau et n’en a point donné. Une sorte d’indifférence qui ressemble bien à de l’apathie neutralise toutes les bonnes intentions qui se font jour ; on voit inutilement poindre des idées qui plus tard trouveront une réalisation facile, et qui alors paraissent téméraires. En 1762, de Parcieux offre d’amener à Paris les eaux de la petite rivière de l’Yvette, qui sort de terre entre Versailles et Rambouillet. Deux ingénieurs célèbres, Perronet et de Chezy, donnèrent corps à l’idée émise par de Parcieux en dressant le plan de l’aqueduc de dérivation. Trois ans après, une compagnie propose d’élever les eaux de la Seine de façon à les distribuer à toutes les maisons de Paris moyennant une taxe proportionnelle. Les deux projets opposés l’un à l’autre se partagent si bien l’opinion publique que ni l’un ni l’autre ne sont adoptés. Vers ce moment, 1769, les premiers mémoires sont présentés en faveur des pompes à feu ; mais les inventeurs se disputent au lieu de s’associer. Auxiron réclame la priorité ; les frères Pérîer présentent un groupe d’actionnaires sérieux et obtiennent par lettres patentes du 7 février 1777 l’autorisation de construire à leurs frais des machines à feu propres à élever l’eau de la Seine et à la faire parvenir dans des réservoirs placés à une telle altitude qu’il serait facile de la distribuer dans les différens quartiers de la ville. Restait l’emplacement à choisir : ce fut la prévôté des marchands qui le détermina ; on désigna Chaillot. La pompe à feu y existe encore, mais elle n’a plus rien de commun avec la machine que les Périer y avaient établie, et qui donna de l’eau pour la première fois dans Paris au faubourg Saint-Honoré en juillet 1782[1] ; Mercier en parle ; il admire et s’étonne. « La simple vapeur d’eau en ébullition est l’agent du mouvement prodigieux que nulle autre force connue ne pourrait produire ; elle élève l’eau à 110 pieds au-dessus des basses eaux de la Seine, et fait monter en vingt-quatre heures 400,000 pieds cubes d’eau pesant 28,800,000 livres. Ainsi voilà de quoi abreuver, laver et inonder à souhait tous les quartiers de la ville. » Malheureusement l’affaire était avant tout financière ; les actions devinrent l’objet d’un agiotage effréné ; les joueurs à la hausse et à la baisse se souciaient fort peu des besoins de la population. Cela fit grand bruit en son temps : Mirabeau, payé par Calonne, attaquait la compagnie concessionnaire, Beaumarchais la défendait, et le public, fort lésé, disait tout haut que cette fameuse pompe à feu n’était en réalité qu’une machine à pamphlets.

On revint à l’idée de détourner l’Yvette par un canal. Le 3 novembre 1787, un ingénieur nommé de Fer fut autorisé à exécuter

  1. On construisit en même temps une pompe à feu au Gros-Caillou, sur une partie de l’emplacement occupé par la manufacture des tabacs ; j’en ai dit quelques mots lorsque j’ai parlé de celle-ci.